Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spontanément, ne se manifeste sans transition dans sa forme parfaite et définitive, pas plus la nation ne peut surgir de terre dans son unité intégrale. Avec ses défauts ou ses vices, avec ses vertus ou ses héroïsmes, elle est le fruit d’une lente assimilation. Cet enchaînement mystérieux, cette solidarité ininterrompue, le labeur de cet enfantement sans fin, cette marche sans repos sur la route du devenir perpétuel, sont les élémens et les gages de sa force, en tant qu’elle veut consentir à en reconnaître la réalité. C’est là qu’elle trouve tout à la fois des avertissemens, des exemples et des raisons d’espérer ; c’est ainsi seulement qu’elle s’enracine. Un cri d’orgueil ne suffit pas à légitimer le reniement du passé.

Les élémens organiques de l’unité nationale sont, en conséquence, d’une infinie complexité. S’ils peuvent se définir assez nettement dans leur ensemble, ils sont pourtant entre eux dans des conditions de relation très variées ; pris isolément ils sont nécessaires, en principe, à toute fonction vitale de la nation ; mais aucun d’eux n’est suffisant pour en assurer, par lui-même, l’entier accomplissement et le développement normal. Ils se dosent, se combinent de mille manières diverses et sans obéir à des lois immuables. Au premier rang figurent ceux de ces élémens qui donnent le critérium de ce que l’on pourrait appeler l’unité extérieure : sous cet aspect se présentent tout d’abord à l’examen l’unité territoriale, l’unité politique, l’unité législative, l’unité de langue.

La France est redevable de son unité territoriale à la patiente énergie de la monarchie héréditaire. Au cours de près de dix siècles s’est accompli, sous la loi de l’attraction, ce travail de soudure, de fusion, qui a amalgamé en un seul bloc les élémens disjoints du patrimoine national. C’est ainsi que le pays a pris son équilibre et s’est assis entre ses frontières. Nulle part des conditions plus propices n’étaient d’ailleurs offertes à cette œuvre de cristallisation. Si l’Angleterre, si l’Espagne, tout particulièrement favorisées, parvenaient avant nous à l’unité territoriale, l’Italie, réduite à de vagues aspirations unitaires, restait, pendant des siècles, une expression géographique, l’Allemagne ne parvenait pas à se reconnaître, la Belgique, les Pays-Bas attendaient que l’Europe les eût définies. Seules, nos frontières du Nord, frontières diplomatiques, se sont successivement élargies ou resserrées suivant les destins heureux de la guerre ou l’infortune