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AUX PASSANS


(Épitaphe antique.)


Evasi, effugi ; spes et fortuna valete.

Je ne connaîtrai plus le mal dont vous souffrez.
Pareille au papillon qui peu d’instans se pose,
Mon âme a fui la chair qui la tenait enclose
Et plane sur le gouffre immense où vous irez.

Mes biens s’étaient flétris, comme au soleil les prés,
Mon amour fut la fleur qui meurt à peine éclose ;
J’ai pris mon vol : adieu l’ambition morose,
L’inconstante fortune et ses hochets dorés !

Tous les désirs qui me troublaient ont dû se taire,
Depuis que je me suis évadé de la terre
Et trouvé face à face avec la vérité.

La soif qui dévorait mes jours est assouvie ;
Je repose à jamais dans la sérénité,
Guéri de l’espérance, affranchi de la vie.


NOSTALGIE


Depuis longtemps captif au pays sans soleil
Et brisé par le joug barbare que j’endure,
Je pense tristement, dans les nuits de froidure,
Aux rivages dorés par le couchant vermeil.

Je hais les grands glaciers pleins d’un morne sommeil,
Les forêts de sapins à la sombre verdure ;
Il semble que l’hiver éternellement dure
Dans cet obscur vallon au noir Hadès pareil.

Le gigantesque mur des montagnes m’écrase.
Les jardins embaumés que, le cœur en extase,
Je regardais fleurir près des mers, où sont-ils ?

Quand, libre de nouveau, pourrai-je entendre encore
Sous les bosquets ombreux, aux arômes subtils,
Le doux clapotement de la vague sonore ?