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Et lui :


… Toi, fleur de ma plante
Frappée et desséchée,
Toi, de l’inutile vie,
Extrême, unique fleur,
Tu es dans la terre froide,
Tu es dans la terre noire ;
Le soleil ne te réjouit plus,
L’amour ne te réveille pas.


M. Carducci s’arrête là, ayant dit tout ce qu’il voulait dire lorsqu’il a achevé de développer son image, ayant coulé sa plainte dans une forme admirable. Mme Ada Negri poursuit la sienne, jusqu’à l’insoluble question que beaucoup d’hommes ne se posent plus, que presque toutes les femmes se posent encore :


…… Entre les bras
Maternels, pourquoi, fillette, la vie
T’a-t-elle paru inutile ?…


Ainsi, ces deux grands poètes, si différens, se rencontrent pourtant. Ils représentent deux formes presque opposées de la poésie, et les voici réunis dans la même image éternelle, parce qu’ils éprouvent la même douleur. En les voyant — pour un instant — si près l’un de l’autre, elle qui semble une force de la nature, lui qui possède tous les secrets de son art, en les trouvant également simples, également émouvans, eux dont les moyens, d’ordinaire, se ressemblent si peu, on se rappelle l’aphorisme immortel qu’on peut leur appliquer à tous deux, comme d’ailleurs à tous les autres :


L’art ne fait que des vers, le cœur seul est poète.


Quand le cœur est assez vaste, assez riche, assez frémissant, quand il a des émotions assez puissantes et des sentimens assez forts, il lui arrive de créer d’un coup les formes d’art dont il a besoin pour les exprimer : le troisième volume de Mme Ada Negri démontre, pour la troisième fois, cette vérité.


EDOUARD ROD.