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monarchie, d’autre part l’absolutisme de la démagogie. Ce qui lui paraissait singulièrement choquant dans l’arbitraire princier, c’est que les souverains, spoliateurs du haut clergé, destructeurs de la noblesse d’Empire, ennemis ombrageux des antiques libertés du Tiers Etat, avaient, en définitive, reconquis leur autorité et la raffermissaient chaque jour par des procédés empruntés au jacobinisme ; et ce qui lui inspirait en revanche quelque tendresse pour les « libéraux, » c’est qu’à ses yeux l’Etat aurait dû s’incliner, non point, à vrai dire, devant cette abstraction des Droits de l’homme qu’ils avaient prise comme idole, mais du moins devant les libertés historiques et anciennes dont l’histoire passée conservait les titres, et que la Révolution avait détruites pour le plus grand profit des rois. Goerres remarquait finement qu’il y avait des points communs entre les « libéraux » allemands et les ultras français : les uns et les autres étaient des mécontens, qui cherchaient dans les institutions du passé une justification pour leurs murmures. Et c’est par-là qu’il expliquait l’étrange destinée de ses écrits, qui, par certains côtés plaisaient à la noblesse, par d’autres aux novateurs, et qui s’accommodaient avec le Pape sans déplaire aux hommes qualifiés de révolutionnaires.

La représentation de toutes les forces sociales efficaces lui paraissait une indispensable assise du pouvoir ; il groupait ces forces en trois classes : celle qui enseigne la société, prêtres et professeurs ; celle qui la défend, aristocrates ; celle enfin qui la nourrit. De même que les droits des peuples lui paraissaient protégés par une telle constitution, l’existence de la monarchie lui semblait être la meilleure garantie qu’au sein d’un peuple chacun ferait son devoir : il aimait la monarchie, certes, mais en inclinant à faire du pouvoir royal un magistère et non point une jouissance. Et comme les rois pensaient autrement : « misérables gouvernemens, s’exclamait Goerres, voyez comme ils titubent ! » Ces titubans augustes, désireux de s’étayer entre eux, se rassemblaient-ils en congrès, Goerres accueillait d’un éclat de rire l’effort qu’ils faisaient pour « retarder l’heure universelle. »

Aussi la variété de jacobinisme dans laquelle se complaisaient les rois traita cet importun journaliste comme l’avait traité le jacobinisme du Directoire : le Mercure dut disparaître. « Les filles de joie s’opposent à l’éclairage des rues, » ripostait