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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/76

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autant de créances sur l’histoire du lendemain ; et l’histoire, de par la volonté divine, acquitterait ces créances en réalisant les prophéties. « Mes prédictions ont été tellement justifiées, écrivait-il à Perthes, que des gens pénétrans concluront à une entente secrète entre moi et les puissans, en vertu de laquelle je pouvais à l’avance concerter les numéros qui seraient tirés l’année d’après. » « Poursuivi par la moitié des rois de l’Europe, » suivant l’expression de Benjamin Constant, il était devenu, par leur propre faute, l’incarnation même de la liberté de la presse ; et son auguste besogne de commentateur des événemens était en même temps la revendication d’une liberté. Le livre : l’Europe et la Révolution, qui parut en 1820, tirait la conclusion des épisodes révolutionnaires qui se déroulaient en Espagne, et prodiguait aux diverses souverainetés européennes les sommations et les menaces. La brochure de 1822 intitulée : la Sainte Alliance et les peuples au Congrès de Vérone, forçait, au nom des peuples, les portes du royal concile :


Que le Congrès des princes, écrivait Goerres, soit en même temps un Congrès du peuple et des peuples, un petit et un grand conseil, réunis pour la recherche du bien commun ! Alors il pourrait peut-être arriver que, du jour où se réunirait ce Conseil des peuples, datât le véritable affranchissement de l’Europe, promis par la bataille des peuples ; et que ce Congrès, autrefois Congrès du peuple, puis honteusement descendu au rang d’une journée de gala et d’une réunion de cour, regagnât son antique dignité.


Les souvenirs de la vieille chrétienté se dressaient, dans l’imagination de Goerres, comme un affront aux modernes parades de l’absolutisme ; la sainteté du vieux Saint-Empire, qu’autrefois il blasphémait, parlait désormais à son cœur ; et ce n’était plus seulement par fantaisie romantique que l’esprit de Goerres élisait domicile dans le moyen âge, c’était, désormais, parce qu’il pensait et voulait trouver, dans ce lointain passé dont l’Église était la tutrice, un tremplin solide et sûr pour ces aspirations populaires par lesquelles Dieu gênait les rois.

Il y avait sept ans que Joseph Goerres, sans auxiliaires, sans soutiens, avait commencé de se mesurer avec le comité de têtes couronnées qui prétendait régenter l’Europe ; il y avait sept ans qu’il les bravait par sa plume, et trois ans que son exil même les déliait. L’Europe le regardait : les aristocrates aimaient chez lui certaines idées, les démocrates goûtaient chez lui certains accens ;