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pouvaient sans rompre, et il y avait entre eux autant de haines secrètes qu’ils en montraient de publiques contre l’Empire.


III

La guerre les surprit, également impopulaire auprès des Jacobins et des Internationaux. Les uns et les autres avaient plus à attendre de nos défaites que de nos victoires.

Les défaites leur donnèrent le signal et le courage de l’action révolutionnaire. A Reichshoffen, la Croix-Rousse répondit par un dernier retour de la tactique aventureuse qui tant de fois avait commencé de grandes luttes par l’audace imprévue de quelques conspirateurs. Leur race se perpétuait en un notaire, étrange tabellion, plus apte à dresser des barricades que des contrats. Républicain, conseiller d’arrondissement, désigné par sa violence à ce choix du parti avancé, Lentillon était un de ceux qui, pour s’élancer, n’ont pas besoin de savoir où ils courent, et son ardeur l’emportait avant qu’il eût pris conseil de sa raison. Sa colère veut une agitation et l’improvise, en convoquant ses amis à la Croix-Rousse pour le 13 août. Quelques anciens combattans des sociétés secrètes reconnaissent l’appel d’autrefois. L’échauffourée se réduit à une mêlée avec la police, un agent est tué, deux blessés ; mais les agitateurs, rapidement vaincus, laissent Lentillon prisonnier. Trois jours après, les internationaux veulent entraîner à l’Hôtel de Ville la garde mobile qui part pour le camp de Sathonay, et ne réussissent pas davantage. Mais l’éloignement des troupes appelées à la frontière réduit déjà la garnison à presque rien : la garde nationale n’a pas été organisée, car l’Empire, à Lyon, ne se défie guère moins des modérés que des révolutionnaires et, ainsi, l’obstacle que des conservateurs armés eussent peut-être opposé aux démagogues n’est pas à craindre pour ceux-ci. Ils n’ont pas davantage à redouter l’influence d’une municipalité élue par la ville : Lyon partageait avec Paris le privilège de n’avoir pas de conseil municipal. Cette précaution, qui avait épargné au gouvernement dans les jours calmes quelques embarras sans danger, le livrait seul et sans intercesseurs à l’assaut des jours tragiques. Ses ennemis, en prévision d’un nouveau désastre, se préparent. Ils désignent les hommes qui devront prendre le pouvoir au nom de la ville.