retourne. Indirectement, par intermédiaire, ce sont les comités qui font le gouvernement ; ils sont le gouvernement ; le gouvernement n’est que le chargé d’affaires, le fondé de pouvoirs, le commissionnaire des comités. Chez nous aussi, le vrai gouvernement, c’est la Machine, et le vrai chef du gouvernement, c’est le boss.
De tels ministères seront « irrenversables. » Si, pendant longtemps, on s’est plaint de la trop grande instabilité des ministères, on se plaindra bientôt de leur trop grande stabilité. De plus en plus, en effet, nous allons vers des conditions de parlementarisme dévié où les Cabinets dureront autant que les législatures, non point parce qu’ils représenteront fidèlement l’opinion, la volonté de la majorité, — ce qui serait, au contraire, rentrer dans la loyauté du jeu parlementaire, — mais, uniquement ou principalement, parce qu’il sera intervenu entre eux et cette majorité une espèce de contrat tacite, en vertu duquel ils gouverneront pour elle, c’est-à-dire ils tourneront à son profit et au profit de sa clientèle électorale toutes les ressources qu’ils peuvent réunir et distribuer en une pluie de fonctions, de distinctions et de bénéfices.
Alors on s’apercevra que c’était un excès du régime pseudo-parlementaire de pouvoir se débarrasser trop facilement d’un ministère, mais que c’en est un autre, et non moins regrettable, de ne pouvoir plus s’en débarrasser.
Un gouvernement d’exploitation, c’est bien le gouvernement jacobin ; mais, encore un coup, ne grandissons pas M. Combes : il n’a pas trouvé la formule, — élégante ou non, — de cet élixir de longue vie ministérielle ; et ne dénigrons ni la France, ni la République, ni la démocratie ; le mal n’est pas exclusivement français, ni républicain, ni démocratique. Tous les pays de régime parlementaire et représentatif ou de parlementarisme, le ressentent plus ou moins. C’est, plus ou moins, un mal général, ou qui menace de se généraliser. Mais si ce n’est pas notre mal à nous seuls, ce n’en est pas moins notre mal ; et si ce n’est pas un mal de la seule démocratie, il est cependant plus aigu dans la démocratie qu’ailleurs, à cause de la plus grande réceptivité que la démocratie lui offre, et parce que, contre le microbe du « gouvernement d’exploitation » qui la ronge, une démocratie ne fait jamais, comme disent les physiologistes, « de bonne phagocytose. »