Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/946

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La femme qui écrivait cette lettre, en un tel moment, — quand déjà elle se savait sous le coup des plus terribles soupçons, — ne pouvait pas se croire tout à fait innocente, au secret de son cœur. Et ce n’est pas le seul aveu qui lui soit échappé. « Écoutez-moi tous ! s’écriait-elle au pied du lit de mort de son mari, c’est moi qui ai fait mourir le pauvre Giulio ! » Après quoi elle s’enfuyait d’auprès du cadavre, allait se cacher à Savignano, à Cesena, faisant ce qu’elle-même, dans une de ses lettres à l’abbé Bignardi, a naïvement appelé un « faux pas. » Toute sa conduite au lendemain du drame atteste clairement la conscience, peut-être même excessive, qu’elle avait d’être « la première cause » de la maladie de Perticari. Et le « faux pas » dont elle s’accuse est venu après bien d’autres, que nous devinons jusque sous le plaidoyer de Mlle Maria Romano, et dont le souvenir, en présence de la catastrophe finale, a dû provoquer chez elle des remords d’autant plus affreux que, avec tout cela, elle n’avait jamais cessé d’aimer l’homme qu’elle se reprochait d’avoir fait mourir.

Le fait est que l’histoire des dix années de son mariage nous apparaît tout entière comme un prologue continu de cette double catastrophe ; et je crains bien que Mlle Romano ne reste toujours seule à ne voir en elle que la victime d’un complot, savamment échafaudé sur des calomnies. Mais en même temps l’histoire de ces dix années, comme aussi de la période qui les a précédées, nous apprend quelle grosse part de responsabilité revient à d’autres qu’elle, dans les fautes de toute espèce qu’elle a pu commettre, et combien nous avons le devoir de la plaindre, pour coupable qu’elle soit : car de celle-là nous sentons vraiment qu’elle a été une victime, et la victime non pas d’une mystérieuse fatalité, comme l’imagine Mlle Romano, mais d’une éducation déplorable, avant et après son mariage, d’un manque à peu près absolu de direction morale, de la négligence ou de la légèreté imprudentes de son père et de son mari. « Je te recommande ma Costanza, — écrivait Monti à son gendre au lendemain du mariage. — Sois indulgent pour ses défauts et cultive son cœur, que je sais être foncièrement bon ! Et rappelle-toi bien que la plus grande partie des fautes que commettent les femmes sont avant tout notre ouvrage ! » Le malheur est que ni Monti lui-même, ni Perticari, ne se sont souciés de mettre en pratique ces sages conseils.