Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ici-bas : le règne de la vérité, de la justice et de l’amour. C’est le geste hospitalier qui réunit, sous le même cintre, les esprits purs et le corps qui revivra un jour, — et ceux qui sont déjà renés à la lumière, et ceux qui ne peuvent mourir, et ceux qui ont souffert pour revivre, — dans cette réunion paisible et qui ne finira plus.

Ici, nous saisissons, au vif, l’antithèse du geste chrétien dans la naïveté médiévale avec le geste païen des beaux temps de la Grèce. Sur la stèle du Céramique, les parens serrent la main de celui qui les quitte. Sur le parvis de San Zanipolo, les saints accueillent celui qui, ayant traversé la mort, vient vers eux. Là-bas, c’est une scène d’adieux ; ici, une scène de bienvenue et de présentation au Seigneur. Le chrétien n’est plus accompagné à son départ : il est reçu à l’arrivée. Autant qu’une bienvenue est plus joyeuse que des adieux, autant le cortège de la mort au moyen âge est moins triste que dans l’antiquité.

Ce n’est pas que les proches ou les serviteurs éplorés de la stèle attique aient disparu tout à fait au moyen âge. Ce serait grand dommage, car leur douleur et leurs cagoules ont dicté à nos maîtres « ymagiers » des gestes et des plis qui sont de purs chefs-d’œuvre : les pleurans des ducs de Bourgogne et du duc de Berry, les « deuils » de Philippe Pot, par exemple. Le cortège funèbre s’est même enrichi de figures nouvelles et peu à peu, sont venus se ranger, autour du mort, des représentans de toute l’échelle de la vie : des anges, des hommes et des bêtes : des anges pour le garder, des hommes pour le pleurer et des bêtes peut-être pour le distraire.

Les anges apportent aux gisans le secours de leurs mains et de leurs ailes. De leurs mains, ils soulèvent le rideau, comme l’ange admirable de Donatello, sur la tombe du cardinal Brancacci, à San Nilo de Naples ; ou bien, ils balancent l’encensoir, comme ceux de Philippe, frère de saint Louis, souriant des lèvres aux lèvres souriantes du prince qui dort. De leurs ailes, dressées, ils chassent les mauvais rêves. Ils ne pleurent jamais. Ce sont les amours qui pleurent, peut-être aussi ces faux anges qui entourent, tout nus, debout, le corps du beau Philibert, à Brou. Les vrais anges protègent ou aident, mais ils sourient : ils ne connaissent pas la mort.

Les bêtes, non plus : les chiens, les lions ou les guivres pelotonnés sous le dur talon du chevalier, ou sous la pantoufle