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il semble qu’on voie une œuvre de joaillerie splendide et chimérique flotter, avec le corps du duc, sur un lac noir : le marbre, où plongent les reflets tricolores du manteau bleu, et or, du coussin rouge, de la doublure rouge du manteau, des tuniques blanches des anges semées d’étoiles d’or, de leurs pieds nus tout roses, du lion éploré dans sa crinière brune et dorée. Et tandis que la lumière s’accroche et resplendit aux grains dorés de l’architecture comme aux grains rouges des rosaires, voici que, tournant sous la dalle noire, empêtrés dans leurs robes de marbre, secoués par les sanglots, passant et repassant, sous les petites voûtes, derrière les piliers, dans un cache-cache sans fin, les pleureurs conjuguent tous les temps du désespoir, sans montrer leurs figures, sans montrer leurs mains, par le mystérieux soulèvement de leurs lourdes cagoules et la funèbre éloquence de leurs plis.

L’âge gothique disparu, le cortège des serviteurs ou des cliens ne se reverra plus autour du mort. On n’imaginera plus de figurer, même en une simple posture de douleur ceux que, dans d’autres temps, on eût sacrifiés aux mânes du seigneur. On ne l’imaginerait guère aujourd’hui. La Renaissance et le XVIIIe siècle ont bien représenté des figures éplorées auprès des lombes, mais ce sont des allégories. Au XIXe siècle, on en a bien remis, autour du mort, sur le marbre ou dans le bronze, mais ce sont des parens. Dès le XVIe siècle, les serviteurs, les chevaliers, les moines et les bêtes s’en vont.

Et, un à un, les dieux du paganisme reviennent rôder autour des tombes. Oh ! non pas les dieux de volupté : ils n’oseraient se mêler aux apôtres dont les mains bénissent, aux martyrs dont les blessures saignent, mais les dieux des Enfers, les Parques. Regardez aux pieds des enfans de Charles VIII et d’Anne de Bretagne, couchés, côte à côte, entre quatre anges de leur âge, par Guillaume de Regnault et Jérôme de Fiesole, à Tours ; vous lirez ces vers :


Par Atropos qui les cueurs humains fend
D’un dard mortel de cruelle souffrance
Du Moy Charle et d’Anne, Royne de France,
Cy dessoubs gist Charles second enfant…


Les dieux proscrits se glissent derrière Atropos. Hercule traînant son hydre vient se mêler à Samson, traînant sa porte. Des