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content de ne point agir contre les inscrits, qui se mettaient en grève, alors que la loi leur interdit formellement la grève, s’adressait déjà aux compagnies subventionnées pour leur rappeler les engagemens résultant du cahier des charges qui les lie avec l’Etat.

Il était assez naturel que le président de la Compagnie transatlantique, M. Jules Charles-Roux, n’eût pas le même sentiment que le ministre de la Marine sur les responsabilités en cause. A son avis, toute la responsabilité de la crise actuelle incombait aux pouvoirs publics, et il le dit en termes d’une netteté parfaite dans une lettre au Temps du 26 août :


… Puisqu’il existe une loi sur l’inscription maritime, qu’on l’applique ; ou, si on ne veut pas l’appliquer, qu’on l’abroge. Mais, cette loi consistant en un véritable contrat synallagmatique entre les inscrits maritimes et les armateurs, entraînant des charges et des avantages respectifs pour les uns et pour les autres, il est inadmissible et inique qu’elle reste lettre morte pour les inscrits et continue à peser de tout son poids sur les armateurs.


Là est le nœud de la question. Si l’on a pu dire quelquefois, par ironie, que c’est l’exception qui fait vivre la règle, que les règlemens sont faits pour être violés, et les lois pour n’être pas respectées, ce genre de plaisanterie ne saurait être de mise dans une affaire où il s’agit des intérêts vitaux de tout notre commerce maritime, et de l’intérêt supérieur, intangible, de la défense nationale. Si la discipline se perd sur les bâtimens de la marine marchande, elle ne vivra pas longtemps sur les navires de l’Etat, et peut-être n’y est-elle déjà que trop ébranlée. Si, d’autre part, on rend les conditions d’existence trop dures, trop malaisées, à l’industrie de l’armement, même subventionnée, si, ne lui laissant que les charges de la législation actuelle, et lui en retirant tous les avantages, non seulement on l’empêche de prospérer, mais encore on l’expose à la ruine, ce n’est pas seulement à des intérêts particuliers que l’on fait tort, en leur refusant l’appui légal auquel ils ont droit, c’est aussi à la sécurité du pays que l’on porte la plus sérieuse atteinte.

La législation de l’inscription maritime a-t-elle fait son temps ? Est-il opportun d’en finir avec la création de Colbert, quelques consécrations qu’une expérience de plus de deux siècles lui ait données ? C’est une question sur laquelle les avis peuvent différer, et sur laquelle il est légitime qu’ils diffèrent. Mais aussi longtemps que cette législation existe, le devoir strict, le devoir