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résolus à nous faire à Vienne une énorme réclame. Tout porte à présumer que notre affaire va aller à merveille. Que Dieu seulement daigne nous garder en bonne santé, comme nous l’avons été jusqu’ici ! Je vous prie de faire dire, à notre intention, quatre messes à Maria-Playn, et le plus vite possible.


Nous savons cependant encore, par le témoignage du comte Herberstein, que, durant cette partie du trajet, Wolfgang a eu une grosse émotion dont la lettre du père ne nous parle point. Entre Passau et Linz, il a vu un mendiant tomber à l’eau et se noyer : ce dont il a été si saisi que, jusqu’à l’arrivée à Linz, rien n’a pu le distraire de son épouvante. Et voici maintenant la seconde lettre, écrite de Vienne, — où les Mozart s’étaient logés au coûteux Bœuf Blanc (aujourd’hui À la Ville de Londres), sur le Marché de la Boucherie :


Nous avons quitté Linz le jour de la Saint-François, et sommes allés coucher à Matthausen. Le mardi d’après, nous sommes allés à Ips, où deux minorités et un bénédictin, qui avaient été nos compagnons dans le coche d’eau, ont dit leurs messes dans la chapelle du couvent : alors, pendant ces messes, voilà que notre Woferl s’est arrangé pour grimper jusqu’à l’orgue, et en a si bien joué que les moines franciscains du couvent, qui étaient en train de dîner avec des invités, se sont précipitamment levés de table, sont accourus dans la chapelle, et ont failli mourir d’ébahissement. Le soir, nous avons couché à Stein, et le mercredi, enfin, nous sommes arrivés ici. À la barrière, nous avons été entièrement dispensés de la visite de la douane. Et de cela encore nous avons été redevables à notre M. Woferl, car il s’est aussitôt lié avec le douanier, lui a montré le piano[1], et lui a joué un menuet sur son petit violon.

Depuis notre arrivée, et malgré un temps abominable, nous avons déjà été à une académie du comte Collalto. La comtesse Zinsendorf nous a conduits chez le comte Wilczek, et, le 11, chez le vice-chancelier comte Colloredo, où nous avons eu l’honneur d’adresser la parole aux ministres et aux dames les plus considérables, notamment au chancelier de Hongrie comte Palffy, au chancelier de Bohême comte Chotek, à l’évêque Esterhazy. La comtesse en question se donne beaucoup de peine pour nous ; et toutes les dames sont amoureuses de mes deux mioches. Dès maintenant on nous demande partout. Le 10 octobre, pendant que j’étais à l’Opéra, j’ai entendu l’archiduc Léopold raconter, de sa loge à une autre loge, qu’il y avait à Vienne un petit garçon qui jouait si merveilleusement du clavecin, etc.[2]. Ce même soir, à onze heures, j’ai reçu l’ordre de me rendre à Schœnbrunn

  1. Évidemment un clavecin que les Mozart amenaient avec eux de Salzbourg.
  2. L’Opéra de Vienne donnait, ce soir-là, l’Orfeo ed Euridice de Gluck, dont la première représentation venait d’avoir lieu le 5 octobre. Mais le petit Wolfgang, sans doute, n’aura pas accompagné son père à cette fête musicale.