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l’homme. De grands yeux ronds d’un bleu teinté de gris, purs, brillans, transparens, toujours enfantins, toujours ouverts sur le monde avec un abandon à la fois naïf et passionné. Et comme ils se dilatent encore de plaisir, ou d’orgueil, ces beaux yeux, pendant les heures où l’enfant revêt son habit de prince, un tricorne doré sous le bras, et l’épée au côté ! Comme ses jarrets se campent, comme sa poitrine s’enfle, comme toute sa personne nous dit le ravissement ingénu d’un gamin à qui, pour la première fois, ses parens ont donné permission de se déguiser ! Que le poète de cour Puffendorff se rassure ! Avec tout son génie, le « claveciniste salzbourgeois de six ans » n’en est pas moins un enfant, tout rempli de l’insouciante gaîté de son âge, un enfant aussi différent que possible de ces pauvres êtres vieux dès le berceau, ou prématurément vieillis, que sont à l’ordinaire les « petits prodiges. » La merveilleuse musique qui est en lui n’a pas, grâce à Dieu, alourdi son cerveau, ni vicié avant l’heure le sang de ses veines. Et cette musique même, — croyez-le bien, savant Puffendorff ! — elle n’est point pour lui un art, un moyen de célébrer le culte des Muses ou de se préparer un autel au Temple de Mémoire : elle n’est pour lui rien qu’un jeu (comme pour d’autres la danse, la course, ou le tir à l’arc), l’épanchement du besoin naturel de plaisir d’une âme d’enfant qui, par miracle, est faite à ne pouvoir trouver son plaisir que dans la beauté.


C’est aussi, sans doute, au retour de son premier voyage de Vienne que le petit Wolfgang a eu un autre de ses grands bonheurs : il a obtenu de son père l’autorisation d’apprendre le violon. Le trompette Schachtner nous a laissé, des circonstances où a été accordée à l’enfant cette autorisation, un charmant tableau que tout biographe de Mozart est tenu de citer : mais je crains bien que, sous le luxe de menus faits précis dont il ne manque jamais d’appuyer ses anecdotes, le vieux trompette, qui était en même temps un vieil homme de lettres[1], n’ait plus d’une fois permis à sa fantaisie poétique de suppléer aux lacunes de sa mémoire. Il s’est certainement trompé, par exemple, en nous affirmant que Wolfgang avait rapporté de son voyage « un petit violon dont on lui avait fait cadeau à Vienne, » puisque nous

  1. Il avait écrit notamment un grand nombre de livrets d’oratorios, entre autres celui d’une « pastorale sacrée », le Bon Pasteur, dont la musique avait été composée par Léopold Mozart.