Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passion dont il est brûlé. Il continuera bien, quelque temps encore, trop longtemps, à s’exhiber dans les cours princières ou devant le public ; mais ses tours de force, désormais, lui seront indifférens ou l’ennuieront, en attendant qu’il finisse par les détester. Aux badauds qui l’applaudiront il ne laissera plus voir que son ombre ; le vrai Mozart, depuis lors, ne sera plus le « phénomène » qui, — parfois dans les salons de Versailles ou de Saint-James, mais plus souvent encore, hélas ! dans de misérables salles d’auberge, et à moitié vides, — jouera des concertos avec un seul doigt ; ce sera l’enfant qui, au sortir de ces humiliantes séances, s’entretiendra avec les meilleurs musiciens de son temps, étudiera leurs partitions, et, ardemment, de toute la force de son cher petit cœur, s’ingéniera à les imiter. L’auteur de la Flûte enchantée, qui jusque-là n’a encore travaillé que pour ses parens, va commencer maintenant à travailler pour nous.


II. — À TRAVERS L’ALLEMAGNE

« À la fois pour l’entretien de notre santé et pour ma réputation auprès des cours, nous sommes tenus de voyager » noblement, » écrivait Léopold Mozart à son propriétaire l’épicier Hagenauer, le 21 septembre 1763, trois mois après le départ de toute la famille pour le grand voyage de Paris et de Londres. De se comporter noblement, en « homme de cour, » c’était un goût que le petit maître de chapelle salzbourgeois avait toujours eu ; et cette fois il avait éprouvé d’autant moins de scrupule à s’y laisser aller que, d’avance, il était certain de la réussite matérielle d’un voyage dont il avait soigneusement prévu et calculé jusqu’aux moindres détails. Mais, en attendant la fortune qui ne pouvait manquer de lui venir bientôt, il se serait trouvé fort empêché de se mettre en route, noblement ou non, si les Hagenauer ne lui avaient avancé l’argent dont il avait besoin. Avec leur confiance en lui, qui était extrême, ces braves gens avaient sans doute pensé faire là tout ensemble une bonne action et une bonne affaire. Ils avaient simplement exigé, — curiosité légitime où s’ajoutait peut-être une nuance de précaution, — que leur illustre ami les instruisît, presque jour par jour, de tous les progrès de son entreprise : de telle sorte que c’est à eux que nous sommes redevables de la longue série de lettres qui, publiées ensuite par Nissen, constituent aujourd’hui notre