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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/207

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servitude, voici que les voyageurs s’élancent impatiemment à la conquête du monde : le père recueilli et digne jusque dans sa joie, ainsi qu’il sied à un « homme de cour ; » la mère, d’un enthousiasme plus expansif, souriant à la perspective des triomphes prochains : la fille, une grande et jolie fillette de douze ans, attentive à bien observer au passage toutes les curiosités de la route, afin de les noter, le soir, sur un carnet qu’on lui a acheté à cette intention. Seul le petit Wolfgang paraît un peu triste, sous son sourire ; et deux larmes, prêtes à couler, pâlissent l’éclat de ses gros yeux d’oiseau. Quelques jours plus tard, son père, s’éveillant le matin, le trouvera tout occupé à pleurer, assis dans son lit. « Oh ! papa, j’ai tant de chagrin ! — Et de quoi, Woferl, mon enfant ? — J’ai tant de chagrin de ne plus voir les Hagenauer, et M. Wentzl, et M. Leitgeb, et M. Gaëtan (Adlgasser), et M. Long-Nez (l’organiste Lipp), et tous les autres amis de là-bas ! » (Lettre du 20 août 1763.)


Dès le premier relais, à Wasserbourg, un accident se produisit qui força les Mozart à un arrêt de quarante-huit heures : une des roues du carrosse se trouva rompue. Et comme la vieille petite ville bavaroise, tout en possédant un superbe château, ne possédait point de cour où l’on pût exhiber les enfans prodiges, le père fut fort ennuyé de ce contretemps, qui dérangeait l’ingénieux édifice de ses combinaisons. Mais Wolfgang, au contraire, en fut ravi ; ravi de pouvoir échapper, pendant deux jours encore, à ces exhibitions fatigantes et inutiles qui, désormais, ne devaient plus cesser de lui être à charge ; et ravi de pouvoir profiter de l’arrêt à Wasserbourg pour apprendre enfin à jouer d’un instrument que, toute sa vie, il devait considérer comme le plus beau de tous et le plus précieux. « Pour nous distraire, écrivait Léopold Mozart le 12 juin, nous sommes montés à l’orgue, et j’ai expliqué au petit le mécanisme des pédales. Aussitôt il s’est misa l’épreuve ; écartant le tabouret, il a préludé, debout ; et Je voilà qui attaque les pédales, et aussi habilement que s’il s’y était exercé depuis plusieurs mois ! »

On a vu que déjà, un an auparavant, durant un arrêt au monastère d’Ips sur la route de Vienne, l’enfant était monté à l’orgue et s’était essayé à jouer : mais il n’avait joué qu’avec ses mains, comme sur un clavecin, tandis qu’à présent c’était vraiment l’orgue tout entier qui s’ouvrait à lui. Et tout de suite il dut