Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hændel. Grâce à eux, la suite était devenue un monument de science musicale : après un sévère prélude, ou bien encore après une longue ouverture en style fugué, les cinq ou six danses de la série servaient d’occasion à tous les artifices d’un contrepoint librement varié, depuis les imitations capricieuses de l’allemande et les graves accords de la sarabande jusqu’aux canons précipités de la gigue finale. Mais c’était précisément l’allure savante de ces compositions qui, d’année en année, avait fini par lasser le goût des musiciens et des connaisseurs. On avait eu l’impression que, avec tout leur agrément et toute leur variété, les suites parlaient toujours plus aux oreilles, ou à l’esprit, qu’au cœur ; et qu’avec toute la richesse de leur contrepoint elles n’en restaient pas moins toujours des recueils de danses, c’est-à-dire des œuvres n’exprimant qu’un ordre d’émotions bien restreint, bien superficiel, et bien monotone. Aussi, dès le début du siècle nouveau, avait-on vaguement aspiré à un genre d’une portée à la fois plus haute et plus large, permettant au claveciniste de traduire des sentimens plus intimes, pareils à ceux que traduisaient le chanteur, l’organiste, ou le violoniste. Et ce genre s’était peu à peu constitué, sous le nom même qui avait désigné, au siècle précédent, les créations les plus expressives de la musique d’orgue et de violon. A côté de la suite, peu à peu, s’était ébauchée et développée la sonate de clavecin. C’était Jean Kuhnau, le prédécesseur de Sébastien Bach au poste de cantor de l’église Saint-Thomas à Leipzig, qui, en 1695, à la fin d’un volume d’exercices de clavecin, avait pour la première fois donné à un ensemble de pièces le titre de « sonate ; » et quelques lignes de sa préface expliquaient, le plus clairement du monde, la raison d’être essentielle du grand genre musical qu’il venait de créer :


J’ai ajouté à mon recueil une sonate en si bémol, qui plaira également au connaisseur. Car pourquoi ne pourrait-on pas traiter sur le clavecin les mêmes sujets que sur d’autres instrumens ? Et cela quand aucun autre instrument ne saurait disputer au clavecin la préséance en fait de perfection ?


Ainsi, dès 1695, Kuhnau avait réclamé pour le clavecin le droit d’avoir, lui aussi, sa sonate, afin de pouvoir « traiter, » lui aussi, les « sujets » réservés jusque-là à d’autres instrumens. Mais le vieux maître ne s’était pas soucié encore de donner à cette sonate une forme spéciale, appropriée à la destination qu’il