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Ces brins terrifians d’une moustache rare
De conquérant mogol ou de héros tartare :
Timour-Leng, Ginghiz-Khan et le grand Attila
Eurent, c’est établi, de ces moustaches-là !

Autre chose, plus grave ! Il est de la famille
Des beaux félins royaux dont la race fourmille
De l’Indus au Mé-Kong, du Pamir à Java.
Ceux-là sont les aînés dans la chaîne des êtres ;
Ils sont les grands témoins, étant les grands ancêtres,
Ils ont connu les temps augustes de Siva !
Ceux-là s’en vont, la nuit, errer par les décombres
Des temples désertés d’Angkor ou de Delhi,
Et dans l’ombre des murs glissent comme des ombres,
Zélateurs survivans du vieux culte aboli.
Ils frôlent de leurs reins crépitans d’étincelles
L’autel veuf de son dieu monstrueux ; leurs prunelles
Fluides, dont les feux éclipsés par instans
Font dans le vide noir des trous inquiétans,
Lampyres accouplés, luisent phosphorescentes ;
Et le vent, alourdi de leurs odeurs puissantes,
Jusque dans les faubourgs des villes, fait courir
Une petite mort sur les nerfs des molosses,
Et, la trompe levée aux étoiles, barrir
En appels de défi les éléphans colosses !

De ces fauves le chat est un diminutif.
N’ayant point à braver Béhémoth dans ses jungles,
De quoi lui serviraient leurs effroyables ongles ?
Rien moins que violent, il est plutôt furtif ;
Tigre de Lilliput et panthère-pygmée,
C’est contre les souris que l’espèce est armée ;
Mais la griffe ancestrale est là toujours, qui dort :
Laissez-la sommeiller ! Qui la réveille — a tort.
Tenez ; quand je pelote avec ma favorite,
Je peux, assez longtemps, sans qu’elle s’en irrite,
Prolonger un manège où je prends mon plaisir ;
Dans l’ampleur de sa peau bizarrement zébrée
Elle se laisse, molle, et comme invertébrée,