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où la petite armée qu’il commandait se trouvait avec les troupes autrichiennes, Condé avait envoyé ces deux officiers au Régent pour lui apprendre la mort de Louis XVII, dont la nouvelle lui était arrivée avant de pouvoir être connue à Vérone. Le petit roi avait succombé, le 8 du même mois, dans la prison du Temple.

Bien que la correspondance antérieure des agens de Paris eût préparé le Comte de Provence à ce nouveau deuil et fait luire à ses yeux la prochaine perspective d’un trône, l’événement n’en déchaîna pas moins en lui un émoi violent, où la joie de régner s’assombrissait des circonstances tragiques en lesquelles il devenait roi et qui allaient rendre terriblement lourd à son front le diadème ensanglanté dont la mort de son neveu le rendait possesseur.

Au moment où il reçut cette nouvelle, il était dans son appartement avec le comte de Cossé, premier gentilhomme de la Chambre. Laissant là les messagers qui la lui apportaient, il se leva pour aller la communiquer au comte d’Avaray « son ami, » qui logeait au rez-de-chaussée de la maison dont lui-même occupait le premier étage.

« Le Régent descend chez moi précédé du comte de Cossé, écrit d’Avaray, dans ses notes quotidiennes ; leur visage m’effraye ; je cherchais des forces contre quelque nouveau malheur que je ne pouvais prévoir, lorsque le Régent me dit après un moment de silence :

« — Le Roi est mort.

« Je reste sans parole, sans mouvement ; puis, tout à coup, je me précipite sur sa main. Le comte de Cossé en fait autant. Mon maître nous serre dans ses bras. Je lui prédis alors sans hésiter que les malheurs et les crimes s’arrêteront à lui et qu’il sera le restaurateur de la France[1]. »

Dans tout ce que Louis XVIII allait désormais entreprendre pour se rouvrir, coûte que coûte, les portes de son royaume et

  1. Pour se conformer aux désirs du Roi, le comte d’Avaray, qui vivait auprès de lui, rédigeait fréquemment et lui remettait des rapports très circonstanciés sur les événemens qui se déroulaient sous leurs yeux et qui les intéressaient, voire sur ceux auxquels ils avaient été mêles ensemble autrefois, comme par exemple l’histoire de la disgrâce de Mme de Balbi qu’on lira plus loin. Ces rapports confidentiels, destinés à n’être lus que par le Roi, et conservés parmi ses papiers, constituent une source abondante de renseignemens pour l’histoire de l’Emigration. On verra que j’y ai largement puisé.