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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/266

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Mme de Balbi met le pied dans cette maison, je pars le lendemain. Votre gloire avant tout, votre faveur après.

« Pendant que je parlais, mon malheureux prince était abîmé dans la douleur, tour à tour réveillé par la hardiesse de mon langage et la force de mes raisons. Je le voyais, si ses mains découvraient un instant son visage, rougir et pâlir à la fois. A peine pouvais-je prévoir ce que j’avais à attendre, lorsque d’un ton de voix déchirant, il me dit :

« — Ah ! mon ami, ne m’accablez pas.

« — Ce serait vous trahir que vous épargner.

« — Par pitié, laissez-moi. Mon cœur brisé ne me laisse pas la faculté de rassembler deux idées. Allez, nous nous reverrons… J’ai besoin d’être seul. »

Cette scène pathétique avait abattu le maître et le serviteur. Quand ils se retrouvèrent, quelques instans après, ils étaient plus calmes l’un et l’autre. D’Avaray avait confié au comte de Damas ce qu’il venait de faire, en ajoutant qu’il irait servir à l’armée de Condé plutôt que d’autoriser par sa présence « cette honteuse réunion, » et Damas s’était jeté à son cou en s’écriant que leur prince était bien heureux d’avoir un ami aussi véritablement attaché à sa gloire.

Quant à Monsieur, il avait pris la résolution d’aller jusqu’au bout dans ce que lui commandait l’honneur.

— Cette réunion est sans doute impossible, dit-il à d’Avaray, je le sens comme vous. De quelque façon que ceci tourne, il faut détruire l’habitude et le charme de ma vie. Je vous remercie de m’avoir parlé comme un ami courageux et fidèle devait le faire.

Après une telle déclaration, le reste n’était plus rien. Pour empêcher Mme de Balbi d’arriver à Vérone, pour lui signifier son congé, et pour conjurer toute tentative nouvelle de sa part, il ne fallait que de l’habileté, de la promptitude, une volonté persévérante. Une conférence avec le baron de Flaschlanden, l’homme qui, après d’Avaray, avait alors le plus d’influence dans le conseil du prince, le raffermit dans sa décision. Une lettre de congé fut écrite, « noble, délicate, mesurée. » Le comte d’Hautefort, qui avait été des familiers de Mme de Balbi, se chargea d’aller au-devant d’elle pour la lui remettre et lui faire savoir en même temps que la pension que lui faisait Monsieur lui serait maintenue.

Tout ceci était décidé quand on songea au marquis de Jaucourt, à l’insu duquel ces incidens sciaient déroulés. Monsieur