Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les sentimens qu’elle lui inspirait, il les avait exprimés naguère avec une vivacité dont le témoignage est sous nos yeux. Un jour, à Coblentz, lisant le récit de son évasion de Paris, dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, rédigé, à sa demande, par le comte d’Avaray comme complément de celui qu’il en avait tracé lui-même, et s’attardant à un passage où le narrateur rappelait la journée de Saint-Cloud, premier épisode de la captivité de Louis XVI[1], il avait écrit en marge de cette relation :

« Ce fut là, il m’est doux d’en consacrer ici le souvenir, que, pour la première fois, je vis ma nièce telle qu’elle est. Tout ce que la solidité d’âme, le courage, la piété avaient donné de forces au Roi, à la Reine, à ma sœur semblait épuisé. Assis chacun dans notre coin, nous nous regardions tous les cinq dans un morne silence. Ma nièce âgée de douze ans, seule debout au milieu de ce cercle d’infortunés, annonçant par ses regards qu’elle sentait et surmontait sa position, allait de son père à sa mère, à ses tantes ; les larmes étaient dans ses yeux, Je sourire sur ses lèvres. Ses innocentes caresses, ses tendres soins, ses mots consolateurs versaient du baume sur toutes les plaies. Elle vint à moi :

« — O mon enfant, lui dis-je en la serrant dans mes bras, puisse le ciel faire pleuvoir sur vous tout le bonheur qu’il refuse à vos malheureux parens ! »

Et c’était cette vaillante jeune fille qui maintenant, à peine libre de laisser parler son cœur, poussait vers lui un cri de tendresse, de soumission et de dévouement ! Il en fut tout réconforté, et le désir de la fixer auprès de sa personne, dès qu’il serait en possession d’un asile plus sûr que n’était l’Italie, s’empara de

  1. 18 avril 1791. — « Le Roi avait été sérieusement malade ; d’un autre côté, il désirait soustraire le service de sa chapelle aux fureurs dont les prêtres fidèles étaient menacés. Les médecins prononcèrent que Sa Majesté avait besoin de l’air de la campagne et l’on pensait assez généralement qu’Elle pourrait aller à Saint-Cloud comme l’année précédente. Le 18 avril, jour fixé pour le départ, Sa Majesté et la famille royale étaient en voiture vers midi et déjà sur le Carrousel, lorsque d’accord avec la populace et les poissardes, "au mépris des Droits de l’Homme verbeusement et inutilement invoqués par leur premier auteur (le général de La Fayette), la garde nationale, en couvrant d’injures le Roi et son auguste famille dont, à plusieurs reprises, la voiture fut couchée en joue, maltraitant de coups ses serviteurs et ne paraissant prolonger ces infâmes débats que pour en aggraver les outrages, força Sa Majesté à renoncer à son voyage. Et c’était pourtant ce même homme, ce Washington de la Foire, qui, peu auparavant, disait à un haut personnage de qui je tiens cette impudente niaiserie : « J’ai abaissé le trône de quelques marches ; je ne souffrirai pas qu’on y touche. » — Annotation de d’Avaray sur son manuscrit.