insurgés et de le laisser en proie à l’anarchie et aux guerres civiles qui déchireraient infailliblement un pays inaccoutumé à l’autonomie, où bouillonnaient tant de passions violentes et où s’impatientaient tant d’ambitions inassouvies, le gouvernement du président Mac-Kinley n’hésita pas longtemps : les États-Unis resteraient les maîtres des Philippines, jusqu’au jour au moins où les indigènes auraient fait preuve des aptitudes nécessaires au self-government ; en attendant qu’eux-mêmes jugent ce jour venu, les Américains administreraient l’archipel ; mais ils légitimeraient leur pouvoir par leurs bienfaits et justifieraient l’emploi des moyens, même les plus violens, par l’excellence de la fin. Ils feraient l’éducation sociale et politique du peuple philippin, relèveraient à leur niveau, l’« américaniseraient » et le rendraient digne un jour soit d’entrer comme un nouvel État dans l’Union étendue jusque par-delà le Pacifique, soit de fonder, sous l’hégémonie lointaine des Américains, une république indépendante. « Les Philippines aux Philippins, » l’ancien programme de l’insurrection devint celui des conquérans ; seulement, dans leur bouche, il prit un sens nouveau : il signifia non plus : indépendance, autonomie de l’archipel, mais bien gouvernement des Philippines par les Américains dans l’intérêt des natifs et avec leur participation dans la mesure où elle sera compatible avec l’autorité des États-Unis. La formule, ainsi entendue, cherche à définir une politique qui serait l’antithèse de celle qu’appliquaient les Espagnols qui gouvernaient les Philippines comme une riche ferme exploitable à merci. Quant aux indigènes qui s’obstineraient à méconnaître les bienfaits du régime américain, à travestir ses intentions, et qui auraient le sot orgueil de préférer la liberté avec l’anarchie à l’ordre avec un joug étranger, la force des armes aurait raison de leur résistance.
Le principe qu’on a toujours le droit d’imposer un bienfait et que, si elle en a le pouvoir, une civilisation qui a foi en sa propre supériorité, — dont elle reste d’ailleurs seule juge, — a aussi le devoir d’imposer sa loi à une civilisation inférieure, n’est pas une découverte américaine ; mais il est caractéristique de le trouver au service de la grande démocratie du Nouveau Monde, inspirant sa politique extérieure et justifiant son expansion impériale. C’est, entre beaucoup d’autres, une preuve que les Yankees, même lorsqu’ils paraissent le plus férus d’humanitarisme et le plus ardemment propagandistes de la liberté des peuples, restent avant