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ou les tuteurs ; ils ne croient pas avoir le droit, sous le nom de neutralité, d’introduire la lutte contre le catholicisme, ni, sous le masque de la liberté, d’abriter la réalité hypocrite d’une propagande protestante. En cela encore, ils se sont montrés fidèles à leurs promesses ; ils ont réellement cherché à gouverner pour le bien de leurs nouveaux sujets. Par une tendance naturelle de leur esprit positif, les Américains, mis en présence d’un problème délicat, d’une situation historique, consacrée par le temps, ont envisagé la difficulté sous son aspect pratique ; au lieu de se payer de vaines formules et de raisonner sur des abstractions, ils sont allés chercher la solution là où elle était, c’est-à-dire auprès du seul pouvoir qui, au nom de l’intérêt supérieur de l’Eglise, eût le droit d’imposer l’obéissance aux religieux sans froisser le sentiment national. Voilà le spectacle, on pourrait presque dire la leçon, qu’au début du XXe siècle, les Etats-Unis d’Amérique ont donné à la vieille Europe : il était bon de le faire remarquer. Peut-être aussi ne serait-il pas indifférent d’observer que le premier pas des Etats-Unis sur les routes de l’expansion impériale les a conduits à Rome, et si, sans doute, ce n’est pas le hasard qui les y a guidés, n’est-il pas permis de se demander si la même politique, dans son développement probable, ne les ramènera pas sur le même chemin ?


V

Près de quatre cents ans ont passé sur la terre brûlante des Philippines, depuis qu’en 1571, don Lopez de Legaspi plantait à Manille le drapeau du roi d’Espagne ; et pendant le long cours de ces quatre siècles, les Philippines furent sans doute moins transformées dans leur physionomie extérieure, par l’effort patient des Espagnols, qu’elles ne l’ont été, depuis six ans, sous l’aiguillon du génie audacieux des Américains. Ils ne se sont pas contentés de substituer leur règne à celui de l’Espagne, d’insinuer discrètement leur autorité, ils ont porté sur tout l’ancien ordre de choses une main hardiment novatrice ; en vain ont-ils proclamé qu’ils entendaient conserver, de l’organisme existant, tout ce qu’ils croiraient susceptible d’être utilisé : la force des situations a été plus puissante que leur bonne volonté ; il aurait fallu qu’ils pussent, pour bien comprendre les mœurs et les aspirations de la population indigène, se départir d’abord de leur propre