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qu’art et bourgeoisie sont incompatibles. Mme Gabrielle Forjot, qui a une belle voix, chante dans les concerts de charité. Elle a pour professeur de chant un certain Ranietty, dont elle commence par être l’élève pour finir par devenir la maîtresse. La malchance veut qu’elle interprète, devant un compositeur célèbre, un morceau d’opéra. Grisée par les complimens du « Maître, » tentée par l’occasion, et surtout travaillée par un secret et impérieux instinct de cabotinage, elle se sauve avec Rametty et, quittant mari et fille, déserte le foyer conjugal. Cependant que la « déserteuse » court le monde, Forjot reste entre sa fille Pascaline et l’institutrice de celle-ci, Mlle Hélène. Cette dernière est une personne douce, modeste, prudente, économe : elle a toutes les qualités bourgeoises dont l’épouse fugitive était si complètement dépourvue ; et c’est pourquoi, peu à peu, sans l’avoir voulu, elle se trouve installée dans la place laissée libre, et devient Mme Forjot.

Nous sommes ainsi, dès le début, jetés en plein drame de famille. Nous y resterons. Car, si elle a déserté son foyer, la première Mme Forjot ne l’a pas oublié. Forjot a quitté Nantes, a pris un appartement à Paris ; il espère y vivre tranquille entre sa nouvelle femme et sa fille. C’est compter sans Gabrielle. Tout allait à souhait, tant qu’elle a parcouru le Nouveau Monde. Mais le Nouveau Monde, on en revient ; et c’est parfois bien malheureux. Diverses raisons poussent Gabrielle à franchir le seuil de cet intérieur qui devrait être le sien : nostalgie, curiosité, désir de troubler la paix d’autrui et même besoin maternel de revoir sa fille Pascaline. Celle-ci, qui ignore les raisons véritables du départ de sa mère, et qu’une tendresse instinctive ramène vers cette mère affectueuse et câline, éprouve une espèce d’hostilité grandissante contre la seconde femme de son père, l’institutrice qui s’est fait épouser, l’intrigante et l’intruse. De là une cause permanente de mésintelligence, des luttes sourdes, des débats intimes et des déchiremens. Pascaline poursuit de ses méchancetés sournoises d’ingénue sa belle-mère. Une grande scène où elles se parlent à cœur ouvert, semble les avoir réconciliées ; ce n’est qu’une trêve ; le désaccord subsiste, malaise chronique qui ne peut manquer d’aboutir à un éclat : Pascaline, à son tour, se sauve de chez le pauvre M. Forjot, et se réfugie chez sa mère.

Seulement, ce n’est pas un lieu de refuge très convenable pour une jeune fille que la maison de la première Mme Forjot, devenue, après une brève et orageuse odyssée, directrice de tournées théâtrales. Afin de divertir nos yeux et de détendre quelque peu notre esprit, on a donné pour décor au troisième acte le bureau de l’agence des