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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/466

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Loder d’une excellente occasion de se relever aux yeux de la jeune femme. On apprend en effet, un matin, que la Russie s’est permis d’envahir certain territoire d’Asie sur lequel l’Angleterre prétend avoir droit de protection. Le parti conservateur décide aussitôt d’attaquer le ministère libéral ; et c’est au faux Chilcote que revient l’honneur d’engager la lutte. Il parle, son discours produit une impression extraordinaire, la majorité ministérielle tombe à quelques voix ; Loder Chilcote devient le grand homme du jour ; et Eve lui tend les bras, et il est sur le point de s’y abandonner, lorsqu’un nouveau télégramme du véritable Chilcote le condamne, une fois encore, à restituer à un autre homme la gloire et la tendresse qu’il s’est gagnées sous son nom.

Mais, cette fois, l’interruption du beau rêve de Loder n’est plus que momentanée : cinq jours après ses brillans débuts à la Chambre des communes, il se retrouve installé de nouveau dans la maison de Chilcote, et de nouveau la jeune femme, ravie d’avoir retrouvé son mari tel qu’elle l’aime, lui fait part des grandes espérances qu’elle a conçues pour lui. Et comme le gouvernement russe vient à présent de faire attaquer, par une bande de cosaques, une caravane appartenant à un citoyen anglais, le ministère libéral est décidément renversé, et le faux Chilcote, à qui revient surtout le mérite de sa chute, se trouve naturellement appelé à faire partie du nouveau ministère. Ai-je besoin de dire qu’il reçoit, à la même minute, un troisième télégramme de l’homme qu’il remplace ? Il le reçoit, en effet ; mais il décide maintenant de n’en tenir aucun compte, sans que nous puissions trop savoir si c’est l’intérêt de l’Angleterre, ou seulement le sien propre, qui le conduit à cette résolution. Cependant sa conscience n’est pas tout à fait en repos. Et voici que, pour comble d’ennui, une femme, qui a été autrefois sa maîtresse, s’avise de découvrir qu’il n’est pas le vrai Chilcote : car il porte, à l’un de ses doigts, une cicatrice, résultant de la morsure d’un chien, et qui est l’unique trait qu’il possède en propre. La maîtresse, jalouse, le dénonce à Eve : sur quoi il se décide enfin à tout confesser. Mais Eve ne se borne pas à lui pardonner : elle l’aime, elle le lui dit, et qu’elle ne peut plus désormais se passer de lui, de telle sorte qu’il en coûte plus encore à Loder d’avoir désormais, lui-même, à se passer d’elle. Du moins, il veut tenter un dernier effort pour la rendre heureuse : il va la mener auprès de son mari, et tous deux vont sommer celui-ci de renoncer à son vice, sous peine de l’abandon et du déshonneur.

Ils arrivent dans la chambre de Loder, ils frappent : personne ne leur répond. Ils entrent, et découvrent que Chilcote est mort. Alors, en