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convulsés par la colère. — « Est-ce que tu te f… de nous, avec ton plaisir ? » Puis, se mettant à rire : « — Allons ! crie : Vive l’Empereur ! » La marchande se hâta d’obéir, et tous les hommes de la section achetèrent ses oublies en faisant tourner les aiguilles de la boîte. C’étaient « ces forcenés » qui épouvantaient les honnêtes Parisiens !


II

L’armée partie avec Davout, la Chambre de plus en plus absorbée dans la discussion de l’Acte constitutionnel, la Commission de gouvernement de plus en plus asservie à son président, Fouché était la seule autorité qui subsistât effectivement. Il était le maître de Paris et de la France. Il avait pleins pouvoirs pour traiter avec Louis XVIII à ces conditions : le Roi sur le trône, lui au ministère. Ce marché, Fouché eut l’élégance de ne le point proposer. Il se le fit offrir. Il avait manœuvré de telle sorte qu’il passait dans tous les partis pour l’homme nécessaire. Lui seul semblait capable de donner à la crise l’issue la moins mauvaise. La bourgeoisie parisienne le regardait comme son sauveur, car c’était à lui qu’elle devait « cette capitulation inespérée. » Malgré des suspicions intermittentes, les Chambres lui maintenaient toute leur confiance. Les royalistes comptaient sur lui pour faire rentrer sans affront et sans tumulte Louis XVIII aux Tuileries. Les constitutionnels, les modérés, les bonapartistes, les régicides espéraient qu’il les garantirait contre les vengeances des jacobins blancs et les prétentions du parti des émigrés. Wellington, enfin, qui était royaliste et modéré, tenait Fouché pour un bon auxiliaire dans la circonstance présente comme dans les occurrences futures.

Dès le lendemain de la capitulation de Paris, le 4 juillet, Wellington fit dire à Fouché par le colonel napolitain Macirone qu’il le recevrait le jour suivant à son quartier général[1]. Le duc d’Otrante se garda d’aller au rendez-vous en secret, comme

  1. Macirone apporta aussi une note qui lui avait été dictée par Talleyrand, présent à son entretien avec Wellington. Dans cette note, Talleyrand déclarait que le Roi accorderait l’ancienne charte, y compris l’abolition de la confiscation, l’appel immédiat des collèges électoraux pour la formation d’une nouvelle Chambre, l’unité du ministère, l’initiative réciproque des lois par message du Roi et par proposition des Chambres. Mais Talleyrand ne disait rien d’une amnistie ni du drapeau tricolore.