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ferait jamais. Il estimait même contraire à sa dignité de « recevoir des mains avilies de Fouché les rênes du gouvernement. » Il aurait préféré un autre Monk. Il imagina cette combinaison : Fouché remettrait ses pouvoirs à Macdonald, qui les transmettrait respectueusement au souverain légitime. On verrait ensuite à récompenser le duc d’Otrante. Mais, dans les conseils du Roi, on avait moins de scrupules. Tout le monde, à quelques exceptions près, regardait l’entrée de Fouché au ministère comme une nécessité ; quelques-uns y voyaient même un bien. Le baron Louis était pour Fouché, Jaucourt était pour Fouché, Talleyrand était pour Fouché, le Comte d’Artois lui-même était pour Fouché. Des royalistes accouraient de Paris, Macdonald, Hyde de Neuville, le bailli de Crussol, la comtesse de Narbonne, Pasquier, Vitrolles, pour conjurer Louis XVIII d’utiliser la bonne volonté, les talens, l’autorité de M. Fouché[1]. « Il était le pire et le plus utile des hommes que le Roi pût trouver dans tout son royaume. » Vitrolles, à la vérité, disait qu’il serait suffisant de le créer pair de France. Mais Louis XVIII répondit avec bonhomie : « J’aime mieux nommer un ministre que je puis renvoyer qu’un pair inamovible. » Wellington arriva sur ces entrefaites. Le but de sa visite était d’obtenir pour Fouché le ministère de la Police. Louis XVIII voyait en Wellington, et avec raison, son plus sûr appui dans la coalition, et son conseiller le meilleur et le plus désintéressé ; il céda. Wellington imposa Fouché, comme, à Cateau-Cambrésis, il avait imposé Talleyrand. Après le dîner, Wellington et Talleyrand partirent pour Neuilly, où ils devaient rencontrer Fouché. Au moment du départ, Louis XVIII donna en ces termes carte blanche à Talleyrand : « — Vous allez voir le duc d’Otrante. Faites tout ce que vous croirez utile à mon service. Seulement ménagez-moi. Pensez que c’est mon p… ! »

La réserve où se tint Fouché contraignit Talleyrand à ménager plus qu’il ne l’aurait voulu la pudeur du Roi. Mais, résolu le lendemain à en finir le soir même, il dit négligemment à Beugnot de rédiger une ordonnance rétablissant le ministère de la Police et en nommant titulaire le duc d’Otrante. Il était désireux de donner à la parole arrachée au Roi une forme plus définitive. Beugnot présenta aussitôt la pièce à la signature. Louis XVIII

  1. Tous les gens qui poussèrent le Roi à prendre Fouché comme ministre s’en défendent à l’envi dans leurs Mémoires, — Talleyrand lui-même ; — mais chacun d’eux en accuse formellement les autres.