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qu’il doit faire ce soir ou demain son entrée dans la capitale. Les troupes étrangères viennent d’occuper les Tuileries. Dans cet état de choses, nous ne pouvons plus que faire des vœux pour la patrie, et, nos délibérations n’étant plus libres, nous croyons devoir nous séparer. »

Le message fut accueilli par la Chambre sans trouble, et sans émotion, du moins sans émotion apparente. Aucune voix ne s’éleva pour accuser Fouché, ni pour renouveler la proposition que l’assemblée se retirât sur la Loire au milieu de l’armée. On demanda l’ordre du jour, qui fut voté à l’unanimité. Manuel dit philosophiquement que : « tous avaient prévu ce qui arrivait et que la Commission exécutive s’était trouvée dans une position à ne pouvoir se défendre. » Il jugea cependant utile à sa réputation d’orateur et à son bon renom de citoyen d’ajouter cette déclaration emphatique : « — Quant à nous, nous devons compte à la patrie de tous nos instans, et, s’il le faut, des dernières gouttes de notre sang ! Il n’est pas si loin peut-être le moment qui nous rendra tous nos droits et consacrera la liberté publique. Ce moment, nous ne pouvons l’attendre qu’avec le calme et la dignité qui conviennent aux représentans d’un grand peuple… Achevez votre ouvrage (la Constitution) en continuant vos délibérations. Disons comme cet orateur célèbre dont la parole a retenti dans l’Europe entière : Nous sommes ici par la volonté du peuple ; nous n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes ! » La Chambre applaudit par quatre fois les vaines paroles du complice de Fouché ; après quoi, elle reprit tranquillement la discussion de l’Acte constitutionnel. Sur les six heures, Lanjuinais, estimant que la comédie avait assez duré (il était déjà tout converti à la cause royale), déclara la séance levée. Mais nombre de députés, grisés par la rhétorique de Manuel, aspiraient à manifester un héroïsme facile en se retirant sous la menace des baïonnettes. Ils protestèrent bruyamment : « — Vous avez toujours paralysé les