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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/572

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par le duc de Broglie dans le Secret du Roi. Le titre de ce livre pourrait être étendu à la plupart des actes d’un prince, tout ensemble si mystérieux et si effronté, si indolent et si remuant, auquel n’échappait point ce qu’il aurait dû à son nom, à sa dynastie, à son peuple, et qui, cependant, se souciait si peu de laisser diminuer et abaisser la France et d’inspirer le mépris, — affichant cyniquement une indifférence d’autant plus coupable qu’à certaines heures, il marquait une vue très claire des catastrophes du lendemain, et, plus que sexagénaire, subordonnant tout à la jouissance de juvéniles plaisirs, alors que, dès sa jeunesse, il avait affecté de se montrer plus blasé qu’un vieillard. Tel à Versailles, à chaque instant d’une vie à la fois si vide et si pleine, on retrouve Louis XV, dans ses déplacemens incessans, dans ses chasses presque quotidiennes, dans ses secrètes et fréquentes promenades au Parc-aux-Cerfs, d’ailleurs si démesurément grandi par l’imagination populaire. Pour lui, les journées étaient toujours trop longues en ce château où, jusqu’à des promenades sur les toits, il ne savait quels bizarres passe-temps imaginer et où il devait, arraché à la Dubarry, être ramené de Trianon pour y mourir, — comme il l’avait été de Vincennes pour y vivre, — laissant le souvenir de Fontenoy effacé par celui de Rosbach, odieux à tous, lui qu’on avait appelé le Bien-aimé, ayant ruiné le royaume et la royauté.

Cette œuvre, à la fois funeste et tragique, Louis XV en marqua profondément la trace à Versailles même. En des pages mémorables, Saint-Simon a peint ce qu’il appelle d’une pittoresque expression « l’écorce extérieure de la vie de Louis XIV, » espérant, disait-il, — on était alors sous Louis XV, — « qu’il s’y trouverait des leçons pour les rois qui voudraient se faire respecter et se respecter eux-mêmes. » Pour connaître en son détail cette « écorce » de l’existence royale, et à quel point Versailles, fait pour elle et méconnu par Louis XV, lui était comme un complément et un cadre nécessaires, il faudrait redire ce qu’était le lever du Roi avec ses entrée familière, grande entrée, entrée des brevets, entrée de la Chambre ; il faudrait rappeler ces repas solennels au grand, au petit ou « au très petit » couvert, qui « était lui-même de beaucoup de plats et de trois services ; » le règlement si compliqué de ces chasses, où presque chaque jour, tuant des centaines de pièces de gibier, le Roi courait, tirait et volait ; le cérémonial des appartemens, c’est-à-dire des réceptions du