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séparant Constantinople des provinces occidentales, la Thessalie, l’Épire et l’Albanie, réduisait l’empire turc à l’état fragmentaire : on savait que l’Angleterre s’était entendue avec l’Allemagne et l’Autriche pour une répartition de ce vaste territoire en trois parts, et proposerait : 1° la création d’une principauté bulgare, 2° la formation d’une province ottomane pourvue d’institutions libérales et d’un gouvernement chrétien ; 3° la restitution de la Macédoine à la Porte. Mais comme ce projet, accepté d’avance dans ses grandes lignes par la Russie, représentait néanmoins pour elle un douloureux sacrifice, on désirait qu’il lui fût soumis sous une forme et avec des commentaires amiables. Le Congrès fut donc surpris d’entendre lord Salisbury, après avoir nettement déclaré inadmissibles les clauses de San Stefano, présenter la combinaison nouvelle comme une concession bienveillante faite au Cabinet de Saint-Pétersbourg « pour ne pas anéantir entièrement les résultats de la guerre. » Ces paroles, presque ironiques, et qui, en tout cas, accentuaient l’échec de la Russie, ne pouvaient manquer de provoquer les susceptibilités de ses plénipotentiaires. Le comte Schouvalof déclara aussitôt qu’il ne saurait « les accepter » et que son gouvernement « était venu au Congrès pour coordonner le traité de San Stefano avec les intérêts généraux de l’Europe » et non pas, assurément, pour « anéantir le résultat de ses victoires. » L’assemblée était agitée et mécontente : le comte Schouvalof très hautain, lord Salisbury embarrassé de l’incident : il fallut que le Président fît appel à un examen ultérieur de la question, et les plénipotentiaires anglais, comprenant qu’ils s’étaient fourvoyés, demandèrent l’ajournement du débat. Ce fut seulement cinq jours après, et à la suite de plusieurs conférences en tête à tête, que les adversaires parvinrent à se mettre d’accord.

Le Congrès en accueillit la nouvelle avec joie, mais le projet eut alors à subir une autre opposition, qui, pour être moins grave au fond, aurait pu cependant, en droit, motiver un examen non moins étendu ; car enfin si les grandes Puissances avaient concilié leurs différends, la Turquie dont on réglait le sort avait bien aussi ses objections à faire entendre. Carathéodory-Pacha les présenta très énergiquement, dans le style le plus clair, mais l’assemblée n’était à cet égard aucunement inquiète, sachant que la Turquie serait toujours obligée d’accepter ses décisions quelles qu’elles fussent. Aussi l’orateur ne fut-il écouté qu’avec