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France, » outre le train majestueux des voitures vertes aux N sommées de la couronne, tout le matériel des cuisines, des tables, des chambres impériales, emporte aussi le plus encombrant, le plus gênant des bagages : et c’est la personne à demi morte, le demi-fantôme de l’Empereur. M. Émile Zola, s’il me souvient bien de la Débâcle, avait fait de Napoléon III, à l’armée, comme une ombre rôdeuse et songeuse, partout présente quoique absente de tout, et, en quelque manière, toujours collée aux vitres. « Une sorte de bagage gênant, » qui retarde et embarrasse soit la marche, soit la retraite, c’est ainsi et ce n’est qu’ainsi, selon MM. Paul et Victor Margueritte, que l’armée connaît l’Empereur. Et, de Saint-Cloud au Rhin, et du Rhin à Sedan, la chose impériale et lamentable va, arrêtant toutes choses.

L’Empereur avait un teint de cendre, des yeux morts ; des boursouflures, dessous, faisaient poche. Il portait la petite tenue de général sous un par-dessus civil. La démarche était lourde, affaissée… Il avait présidé, depuis midi, au lent défilé de l’armée. Face à la chaussée, devant l’interminable cohue, il était resté des heures entières, assis sur une chaise de cuisine. Et, sans un cri, sans un vivat, les divisions étaient passées, silencieuses, devant cet homme à l’œil terne, au teint blafard, au ventre tombant, qui était l’empereur Napoléon III. Cette rêverie du malheureux, regardant s’écrouler devant lui ce qui restait de sa puissance, personne n’y pouvait penser sans tristesse.

Autre foule, l’armée, « interminable cohue, » et cohue dès le premier jour. « Le départ des troupes était tumultueux ; la foule, à la gare de l’Est, versait rasade aux soldats. Beaucoup s’enivraient. » Aussi bien, il semblait depuis quelque temps que la discipline faiblît. « Des généraux s’étaient plaints récemment à l’Empereur, avaient demandé le rétablissement d’une discipline inflexible. » Les moins aveugles, qui passaient pour les plus chagrins, découvraient « de graves symptômes de maladie dans notre armée : » elle ressemble, font dire, assez audacieusement, les frères Margueritte à l’un de leurs héros, le capitaine de lanciers Lacoste, qui représente dans le corps élégant et brillant des officiers l’élément populaire, « elle ressemble à ces visages qui paient de mine, et que la syphilis ronge. » Néanmoins, au repos, avant la mobilisation, vue rapidement en traversant la chambrée, « cette simple chambrée qui sentait la tanière ; avec ses dormeurs nus, avec ses effets d’équipement, l’acier des lances et des sabres, » l’armée, toute l’armée, comme chaque régiment, gardait