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Prussiens entreront ce soir ! » et il ne veut pas que les Prussiens entrent ; il ne veut pas qu’on lui enlève ses canons, « ces canons que nous avons payés de nos économies, » car il a peur, si on les lui enlève, qu’ils ne soient livrés à l’ennemi. (Quelques-uns, sans doute, d’intentions moins pures, ont déjà une arrière-pensée.) Paris est militariste ou plutôt militarisé : en face d’une garnison de douze mille hommes, la masse énorme de deux cent mille lignards et mobiles errans désœuvrés, de trois cent mille gardes nationaux, « trépidans et de leur longue inaction et de leur force dédaignée, » fiers de s’appeler des combattans, furieux de n’avoir pas combattu. (Et tout de même quelques-uns peut-être se seraient fait prier pour combattre.) Paris est républicain et communaliste, mais surtout anti-provincial et parisien. Ce qu’il déteste le plus dans l’Assemblée de Bordeaux, c’est qu’elle représente, on le lui a dit et il le croit, la province la plus arriérée : « hobereaux fossiles, bourgeois couards, débris d’anciens régimes,… revenans qui couvraient de clameurs la voix de Garibaldi, pour le remercier d’avoir mis, vieux et malade, son épée illustre au service de la Défense. (Et il se peut que, derrière cette épée, quelques-uns aient traîné des sabres peu rassurans.) Ils insultaient la Garde nationale dans le colonel Langlois, blessé devant Paris. Ils n’avaient nommé Thiers à la présidence qu’en escomptant son bon vouloir à leurs menées. Un pacte les liait : attendre de concert qu’on pût statuer sur des institutions nouvelles, chacun les accommodant d’avance à sa sauce, Orléans ou Chambord, Napoléon même, si l’on eût osé… Le pavillon de la République bon seulement, jusque-là, pour couvrir la marchandise, et liquider. » Ce que Paris aime le plus dans la Commune, c’est Paris : Paris s’appartenant à lui-même, s’administrant lui-même, se gouvernant lui-même, et, sinon gouvernant, éclairant de tous les rayons de la Ville-Lumière, illuminant la France et le monde. (Cependant, le gouvernement de la Défense nationale avait été un gouvernement parisien à ses origines, mais c’était le gouvernement qu’on a, et Paris se reconnaît toujours mieux dans le gouvernement qu’il n’a pas.) Au surplus, toute révolution parisienne est en tout temps apparue au peuple de Paris comme une palingénésie, et il n’est pas un épicier de la rue Saint-Bon qui, en remuant son pavé aux Trois Glorieuses, n’ait rêvé qu’il enfantait une civilisation.

La Révolution qui commence s’annonce, à son début, autant