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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/704

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famille bourgeoise, étudiant bohème à front haut, barbe frisée, lorgnon insolent ; gamin cruel à flair de policier, Fouquier-Tinville de brasseries, un fanfaron de vice qui va jusqu’au crime ; » il s’exerce et s’amuse à « décapiter les noms de rues, partout où Dieu et saints figurent, en attendant qu’il puisse, comme il l’annonce froidement, faucher des vies. » Théophile Ferré est tout près de l’infirme. — « Ferré, clerc d’agent d’affaires, autre gamin haineux, nabot qui ne pardonne pas à la nature de l’avoir fait naître difforme, et à la société de le laisser végéter obscur, épileptique à froid, qui, avec sa face mangée de barbe et de cheveux noirs, ses yeux noirs sous le binocle, inquiète, et bientôt fera peur. »

Au-dessous, « les candidats des clubs, voix violentes et confuses, démolisseurs d’abus et prometteurs de réformes, à qui les paroles ont servi d’actes, et qui apportent avec eux l’atmosphère fumeuse et furieuse des salles en tumulte. » Ici se démènent et hurlent des « Méridionaux véhémens comme Léo Meillet, Rastoul, le vétérinaire Régère ; de vieux imbéciles vénérables comme Demay ou gâteux comme Allix, le fameux inventeur télépathe des escargots sympathiques ; des têtes brûlées, ivres de sève comme d’un punch flambant…, des nullités prétentieuses capables de tout…, des convictions égarées., des victimes de la vie…, des équivoques…, des inconnus qui jamais ne parurent… » Et enfin, au-dessous de ce dessous, la masse, « centra bouillonnant à la surface duquel tous les déchets populaires tournoient, » viennent crever les gaz de toutes les putréfactions morales et sociales…

Ainsi les frères Margueritte ont peint ces chefs, — si ce furent des chefs, — et ces foules qu’ils entraînèrent et qui les entraînèrent alternativement ; toute cette humanité bonne, mauvaise ou pire, toute cette trop faible, trop forte et déplorable humanité.

J’ai revu un à un ces portraits ; je les ai, autant que je l’ai pu, comparés aux originaux ; je sais quels documens ont servi pour les études ; il me serait souvent facile d’indiquer ligne par ligne les sources où les auteurs ont puisé ; et j’ose assurer que, pour la plupart, ces portraits sont ressemblans, que ces figures revivent dans ce livre, de la vie chimérique, ou falote, ou folle, ou scélérate, ou sotte et vide qu’elles vécurent. Vivantes, il n’est pas jusqu’aux silhouettes, à peine esquissées, qui ne le soient, et quelles silhouettes ! L’ex-officier de marine Lullier, « caracolant