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concession européenne, et partout sur les quais nouveaux, que de bâtisses modernes, en style de n’importe où ! Que d’ateliers fumans, de magasins et de cabarets !

Et puis, où sont donc ces belles grandes jonques, à membrure d’oiseau, qui avaient la grâce des cygnes ? La baie de Nagasaki jadis en était peuplée ; majestueuses, avec leur poupe de trirème, souples, légères, on les voyait aller et venir par tous les vents ; de petits athlètes jaunes, nus comme des antiques, manœuvraient lestement leurs voiles à mille plis, et elles glissaient en silence parmi les verdures des rives. Il en reste bien encore quelques-unes, mais caduques, déjetées, et que l’on dirait perdues aujourd’hui dans la foule des affreux batelets en fer, remorqueurs, chalands, vedettes, pareils à ceux du Havre ou de Portsmouth. Et voici de lourds cuirassés, des « destroyers » difformes, qui sont peints en ce gris sale, cher aux escadres modernes, et sur lesquels flotte le pavillon japonais, blanc orné d’un soleil rouge.

Le long de la mer, quel massacre ! Ce manteau de verdure, qui jadis descendait jusque dans l’eau, qui recouvrait les roches même les plus abruptes, et donnait à cette baie profonde un charme d’Éden, les hommes l’ont tout déchiqueté par le bas ; leur travail de malfaisantes fourmis se révèle partout sur les bords ; ils ont entaillé, coupé, gratté, pour établir une sorte de chemin de ronde, que bordent aujourd’hui des usines et de noirs dépôts de charbon.

Et très loin, très haut sur la montagne, qu’est-ce donc qui persiste de blanc, après que la neige est fondue ? Ah ! des lettres, — japonaises, il est vrai, — des lettres blanches, longues de 10 mètres pour le moins, formant des mots qui se lisent d’une lieue : un système d’affichage américain ; une réclame pour des produits alimentaires !


Mardi, 11 décembre. — Un soleil d’arrière-automne, chaud sans excès, lumineux comme avec nostalgie, tel, à cette saison, le soleil au midi de l’Espagne ; un soleil idéal, s’attardant à dorer les vieilles pagodes, à mûrir les oranges et les mandarines des jardinets mignards…

De peur d’être trop déçu, j’ai préféré attendre ce beau temps-là, pour quitter mon navire et faire ma première visite au Japon.

Donc, aujourd’hui seulement, surlendemain de mon arrivée,