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sabres nous offre pour la soirée, ont seulement accepté charge de nous distraire, de partager notre dînette, de charmer nos yeux ; rien de plus. Chacun de nous aura la sienne ; chacun de nous, dans le moment même qu’il se déchausse, est accaparé par une de ces gentilles créatures, qui ne le quittera plus ; du premier coup, les couples se forment dans le brouhaha de l’arrivée, presque sans choix, comme au hasard, et c’est deux par deux, la main dans la main, que nous gravissons l’escalier, avec une musique de petits rires voulus, puérils sans naïveté, mais jolis quand même.

Au premier étage, la salle de réception, — où nous sommes juste douze, les geishas comprises, contiendrait facilement deux cents convives ; nous y avons l’air perdu, au milieu de l’immaculée blancheur du papier mural, ou des nattes couvrant le plancher. Et il n’y a rien pour orner cette blanche solitude : ce serait une faute d’élégance ; rien qu’un grand bouquet frêle qui s’élance d’un vase ancien et rare, posé sur un haut socle d’ébène ; tout le luxe du lieu consiste dans les vastes proportions, l’espace, et aussi dans la finesse des boiseries, l’impeccable netteté des choses.

Le Seigneur, pour nous recevoir, a repris ses longues robes de soie ; n’étaient ses cheveux coupés court, il serait redevenu un Japonais du vieux temps. Quant au décor, il est aussi très pur, sauf la lumière électrique, la trop moderne lumière, qui tombe çà et là du plafond, mais d’une manière discrète cependant, et voilée de verre dépoli.

Quand nous sommes tous accroupis par terre, bien en rang au fond de la salle, sur des coussins de velours noir, six servantes pareillement vêtues apparaissent à la porte, dans le lointain de ce petit désert de nattes et de papier, se prosternent et font une première entrée tout à fait rituelle pour venir d’abord placer, devant chacun des couples assis, l’inévitable réchaud de bronze. Ce sont des personnes entre deux âges, et d’aspect respectable, ces servantes, pâles, distinguées, les cheveux lissés en ailes de corbeau ; elles ont arboré la tenue et la couleur de grand apparat, qui sont spéciales aux fêtes du nouvel an et ne doivent se porter que la première semaine de chaque année : robe de crépon noir, d’un noir mat et profond comme le voile de la nuit, avec un blason blanc au milieu du dos ; robe qui traîne derrière, traîne sur les côtés, traîne devant, et qui, grâce