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questions de Madame Royale. Sa légitime curiosité, loin d’être satisfaite par les détails que lui avait envoyés son oncle, était encore plus excitée. Elle voulait savoir si son père n’avait pas laissé à l’abbé Edgeworth des instructions secrètes par écrit, ou même des écrits sur ce qui s’était passé durant sa captivité et enfin comment le courageux abbé s’était enfui de Paris.

«… Je conçois fort bien que ces affreux détails vous attachent, lui répondait le Roi, et pour vous satisfaire, j’y vais revenir. Votre malheureux père n’a rien laissé par écrit à l’abbé Edgeworth, et cela n’est pas étonnant : résigné depuis longtemps à la mort, il ne se flattait pas d’avoir le secours d’un prêtre catholique, vous l’avez certainement su. D’ailleurs, la preuve en est dans son testament. D’après cette triste idée, il avait fait des dispositions dont je vais vous parler tout à l’heure, et lorsqu’il obtint de voir l’abbé Edgeworth, il n’eut plus à l’entretenir que de son salut éternel. Ce qui regardait le monde, il le confia à M. de Malesherbes. En voici la preuve dans l’extrait littéral d’une lettre que ce dernier m’écrivit peu de temps après :

« J’ai vu le Roi dans les derniers jours de sa vie ; c’est même moi qui ai eu la douloureuse fonction de lui annoncer le jugement qui venait d’être rendu en ma présence.

« Là, j’ai vu sa grande âme tout entière, le sang-froid inaltérable avec lequel il a écouté mon récit et m’a interrogé sur quelques circonstances, comme sur celles d’une affaire qui lui serait étrangère, la résignation avec laquelle il a fait le sacrifice de sa vie et en même temps sa vive sensibilité sur le malheur de ceux qui sont condamnés à lui survivre, sa reconnaissance pour ceux à qui il croyait en devoir, et en même temps son indulgence pour les erreurs de ceux qui ont de grands reproches à se faire, ce que Monseigneur aura aussi vu dans son testament.

« Je le vis encore le soir de ce jour-là ; car ce ne fut que le lendemain que l’entrée de la prison me fui interdite. J’admirai encore la présence d’esprit avec laquelle il discutait tout et prévoyait tout. Il me fit même dépositaire de quelques-uns de ses sentimens et de ses volontés… DE MALESHERBES, le 10 mars 1793. »

« Vous voyez clairement par cette lettre qu’il ne faut pas confondre les sentimens et les volontés dont M. de Malesherbes parle, avec le testament qu’il cite lui-même un peu plus haut.