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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/879

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Ils sont moins le fruit de l’inspiration, que le fruit du travail, ce qui est déjà un bon signe. Telle pièce traduite d’après Lamartine, embarrassée, incorrecte, mal rimée et mal rythmée, reproduit néanmoins son modèle français, presque vers par vers. Clarté du côté de l’esprit, sincérité du côté du cœur, labeur assidu du côté de la volonté, voilà les trois qualités que possède déjà Grégoire Alexandresco.

Il comprit surtout que pour perfectionner son talent, il devait peu compter, au moins pour commencer, sur ses propres forces. Le poète s’adressa à la France, la littérature roumaine du temps ne pouvant lui offrir ni des modèles achevés ni des conseils salutaires. — Pourquoi à la France plutôt qu’à un autre pays ? Parce que depuis plus de cent ans la langue française était devenue la langue des salons et que les modes françaises régnaient de plus en plus dans les deux principautés. Des émigrés ou de simples aventuriers français avaient appris leur langue aux boyars ; on se souvenait des noms de La Roche, de Linchou, de Carra, de Cado, de Lille, de Colson, de Lejeune, de Fleury, de Mondonville… Vaillant avait eu l’art d’attirer à lui les élèves de presque tous les professeurs français du temps. Sa classe se composait des enfans des plus brillantes familles de Bucarest : elle comptait un Balaceano, un Ghica, et un Philippesco, et un Rosetti.

Et puis déjà la mode d’envoyer les jeunes gens à Paris pour y faire des études s’était introduite dans le pays depuis un certain nombre d’années ; plusieurs à leur retour racontaient monts et merveilles sur leur séjour en France. Un Potéca, un Poénaro, un Bibesco, un Stirbey étaient déjà des personnages considérables dans la principauté. Au moment même où paraissait Eliézer et Nephtali, la langue de l’administration dans le pays était la langue française. Depuis le traité d’Andrinople, les Russes régnaient en maîtres à Bucarest et à Jassy, et s’entendaient en français avec leurs administrés valaques et moldaves. Le général Kisselef, qui gouvernait au nom du Tsar, était plus Parisien que Russe… On apprenait le français dans les écoles ; les premiers journaux qui parurent dans le pays, le Courrier roumain et l’Abeille roumaine, furent rédigés à la fois en français et en roumain. Il n’est donc pas étonnant qu’Alexandresco ait pris des inspirations ou des modèles chez les Français ; le contraire le serait plutôt. L’usage des modes, des manières