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différens aspects du talent de La Fontaine, lors de son premier recueil : versification merveilleuse, balancement d’images, souffle dramatique, intervention personnelle, philosophie pratique. Ces qualités, il tâchera de les acquérir une à une, dans ses recueils ultérieurs : pour l’instant, il n’en a nulle idée. Ce qui le charme dans la fable, en 1832, c’est la fable ; c’est le récit, c’est le plaisir enfantin de débiter un conte, de se figurer qu’il cause avec les animaux ou qu’il les entend causer ensemble. La Fontaine le délasse un peu de Lamartine, et de ses soucis, et de son égoïsme. La fable l’oblige un peu à regarder autour de lui. Cela lui permet aussi d’essayer un autre vers que celui des élégies… S’il n’a nulle idée de varier le nombre des syllabes ou le rythme à l’intérieur d’une même fable (ni même en passant d’une fable à l’autre), il sent, du moins, qu’il faut aux fables un vêtement plus léger, plus court qu’à la « plaintive élégie. » Il passe du mètre de treize syllabes à celui de sept syllabes. Enfin, — et ceci étonnera certainement, — s’il cultive La Fontaine, c’est justement avec l’intention d’apprendre de lui à devenir original ; il se place devant son modèle, et il se propose d’y introduire quelques innovations et de s’en écarter de son mieux.

Trois de ses fables avaient déjà été traitées par le grand fabuliste ; ce sont : le Mulet qui vante son origine nobiliaire, l’Ane gâté et le Rossignol et le Paon.

La première n’est guère qu’une traduction servile du Mulet se vantant de sa généalogie. Mais, dans l’Ane gâté, le poète s’éloigne dix fois de son modèle français, l’Ane et le petit Chien, et quelques-unes de ses innovations sont caractéristiques : ainsi, il supprime le souvenir de « Madame » dans le monologue de l’âne, ce qui paraît bien naturel pour la société valaque de 1832, laquelle était loin de faire du beau sexe tout le cas qu’il convient. De même « Martin-bâton » est remplacé chez lui par un grand nombre de domestiques qui accourent de toutes parts pour sauver leur maître, et la modification fait songer au grand nombre d’esclaves tziganes qui se trouvaient attachés aux personnes des grands boyars, vers 1800 ou 1830. — Pour la troisième de ces fables, le Rossignol et le Paon, elle ne rappelle que de loin la fable analogue de La Fontaine intitulée le Paon se plaignant à Junon. Il n’est question ni de « plainte » ni de Junon dans le morceau de Grégoire Alexandresco. La scène se passe directement entre les deux rivaux. Le paon du poète français est un envieux,