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Lamartine et celui d’Alexandresco qu’autant le premier est consolateur dans son élévation, autant l’autre est déchirant au milieu de ses jouissances matérielles… Et, en effet, ce second amour de notre poète devait avoir le sort du premier ; à peine heureux, le poète a dû compter avec les coquetteries de sa bien-aimée, avec la séparation. Peu de temps après avoir fait sa connaissance, « le malheur fit un signe, et elle lui fut enlevée. » Je t’ai vue encore une fois. Cette douleur lui paraît insupportable. Mais a-t-on le droit de se laisser vaincre ? L’auteur se pose le problème dans la pièce intitulée : Quand goûteras-tu la paix ? En soumettant le sentiment de l’amour à une analyse minutieuse, il est épouvanté de la quantité d’égoïsme qu’il y découvre :


Amour qui endors en nous et obligation et devoir,
Qui éteins la gloire, et n’as rien de sacré en toi !…


et plus bas :


… Mais n’y a-t-il point au monde de passions plus nobles, plus dignes d’éloges…
Et de mieux appropriées au cœur de l’homme ?
Espoir, vie, honneur, sentiments ardens,
Est-ce qu’on doit tout sacrifier à la femme ?


Il se pose encore plus nettement cette question dans le morceau capital de ce recueil lyrique de 1842, intitulé : L’année 1840. Cette importante méditation philosophique se divise en trois parties : dans la première, le poète jette un regard sur sa vie passée et sur celle de l’humanité. Plus d’espoir, dit-il, dans l’égoïsme. Il faut renoncer à soi-même si l’on veut être un peu heureux ! — Dans une seconde partie, il fait la critique amère des anciens temps, qui sont en partie ceux où il vit encore : point de sentiment noble, point de vrai enthousiasme. Le monde doit recommencer, car


Rien n’est plus en état de prouver la grandeur de l’homme…


Enfin, dans une troisième et dernière partie, l’auteur se considère une dernière fois et, dans un suprême effort, il réussit à secouer complètement le joug de l’égoïsme. Peu lui importe de rester le seul malheureux de son pays et du monde ! Il veut disparaître dans l’humanité, comme la vague dans l’Océan. Il est comme inoculé par la souffrance, et la souffrance ne peut plus avoir de