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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/938

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Mais à ces deux opinions théoriques le réformateur écossais en ajoutait, dans la pratique, une troisième, infiniment plus modérée, et d’un caractère tout à fait « opportuniste. » Maintes fois en effet il s’est soumis, le plus volontiers du monde, à des lois civiles qu’il désapprouvait. « Par exemple, il désapprouvait certainement l’épiscopat, et n’avait pas admis d’évêques dans l’église telle qu’il l’avait fait établir en 1560. Mais, douze ans plus tard, les évêques furent réinstitués par l’État, — que représentait, dans l’espèce, un coquin, le Régent Morton ; — et Knox ne fît point mine de vouloir se retirer, ne conseilla à personne de le faire, et s’efforça simplement d’obtenir de l’État le plus d’avantages possible pour son Église. Il professait également, en théorie, que l’Église ne devait pas admettre le patronage, c’est-à-dire la nomination des pasteurs par les seigneurs des paroisses. Les congrégations devaient toujours choisir elles-mêmes, pour leur pasteur, la personne la plus qualifiée. Mais l’État, du vivant de Knox, supprima ce privilège de l’Église. Le plus infâme malandrin du temps, Archibald Douglas, fut imposé à l’Église de Glasgow ; et, un peu partout, les nobles distribuèrent des paroisses lucratives à des cadets ignorans et sans scrupules. Pourtant Knox n’eut pas un moment l’idée de créer un schisme : il se borna à déclarer que, pour les évêques comme pour les pasteurs, « l’erreur de doctrine devait être considérée comme annulant la valeur de la présentation. » Aussi M. Andrew Lang nous affirme-t-il que Knox, s’il vivait de nos jours, appartiendrait sûrement à cette Église établie que les sectes dissidentes ne se lassent point de condamner et de maudire en son nom.

Et ainsi tout le « mystère » n’est venu que de cette diversité des opinions du réformateur sur la question des rapports de l’Église et de l’État. Tandis que les uns, après sa mort, se sont souvenus de son exemple personnel, d’autres ont voulu suivre sa doctrine ; et celle-ci, comme on l’a vu, n’était pas elle-même sans pouvoir donner lieu à plusieurs interprétations différentes. « Trois cent trente-deux ans se sont passés depuis la mort de Knox, nous dit M. Lang, mais les embarras présens des Églises écossaises restent toujours encore le résultat direct de quelques-unes des idées de ce grand homme. » Conclusion qui prête une allure prophétique à ces lignes, qu’écrivait dans son journal intime, le 24 novembre 1572, un digne bourgeois d’Edimbourg : « Aujourd’hui est mort John Knox, pasteur, à qui revient, dit-on, la plus grande part de responsabilité dans toutes les tristesses de l’Ecosse, depuis l’assassinat du défunt Cardinal. »


T. DE WYZEWA.