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M. P. de Nolhac. La Cour de Louis XV, la Cour de Louis le Bien-Aimé, la Cour galante et fardée des beautés peu farouches et des gentilshommes peu fidèles revit tout entière évoquée dans ses portraits qui, s’ils ne peuvent être comptés parmi ceux des plus grands maîtres, sont la meilleure représentation d’une forme d’art périmée qui n’a plus beaucoup de chances de renaître et portent la marque d’un temps disparu dont elle devait fixer les grâces fugitives enveloppées d’une atmosphère d’amour. Son œuvre a suivi les caprices de la mode comme les suivit la femme de ce temps, que le peintre de la famille royale a immortalisée dans des lumières d’apothéose, sur des nuages roses, au milieu des fraîches guirlandes, et dont il a fixé le caractère sous les ingénieuses allégories d’une mythologie renouvelée ad usum Delphini, et pour lui plaire. Les voilà bien toutes réunies ces physionomies charmantes de femmes intelligentes et frivoles des Mémoires secrets de Bachaumont : la contemporaine de Richelieu et de Valfons, l’héroïne des comédies de Marivaux, des romans de Duclos et de l’abbé Prévost, telle qu’elle s’admira et voulut être divinisée en peinture comme elle l’était dans les madrigaux d’un Bernis ou d’un Boufflers. Cette divinité, Nattier la lui assure. C’est une Hébé ou une Aurore sur les nuées de l’Olympe ; c’est une Naïade couchée nonchalamment parmi les roseaux. Dans l’habileté du peintre à la transformer, elle nous apparaît sous toutes les formes, en Flore, en Printemps, en Source, en Chasseuse de cœurs, en Diane qui retient à moitié sa flèche prête à partir, voire en Vestale ou en Nymphe, mais toujours avec ces doux yeux de flamme où le désir flambe et s’éteint, cet air voluptueux et averti, ce charme fait d’élégance et de finesse et d’un apprêt qui ne s’ignore point ; elle sourit d’un sourire voulu et toujours pareil pour ses amis comme pour la postérité. Son visage révèle un sens particulier du bonheur et ce goût du plaisir que montrent, entre toutes, les Françaises de ce temps, qui passeront, insouciantes, des bergeries de Trianon aux drames de la Terreur ; une sensualité un peu forcée, un regard aimanté et noyé d’amour, y mêlent une inquiétude sans mystère. C’est ce qu’a si bien senti et si bien exprimé M. de Nolhac dans ce luxueux ouvrage, sur J.-M. Nattier, où il nous présente, réunies en une exposition idéale, un choix d’œuvres de la meilleure période de l’artiste. Ce n’est pas seulement dans le Palais qu’il connaît comme personne, et qui lui a révélé ses secrets, que l’éminent conservateur du musée de Versailles a retiré des Attiques, où ils étaient relégués dans le discrédit, les portraits de ces filles de France qui avaient habité le Château alors qu’elles étaient dans tout l’éclat de leur beauté. Il a