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subtil ! Mais la situation des délateurs est infiniment pire. Quelques-uns d’entre eux ont naïvement confié leurs peines à des journalistes, qui se sont empressés d’en faire part au public. On serait tenté de plaindre ces misérables s’ils n’avaient pas si bien mérité leur sort. Ils sont devenus les parias d’une société qui les désavoue et s’écarte d’eux avec cette répugnance instinctive qu’on éprouve à l’égard de tout ce qui est moralement sale et salissant. Il y a là une de ces taches que toute l’eau de la mer ne laverait pas : ceux qui en portent le stigmate l’y garderont toujours. Que le gouvernement leur inflige ou ne leur inflige pas un blâme, peu importe ; c’est l’affaire du gouvernement, suivant l’intérêt qu’il croit avoir, un jour, à condamner la délation, et le lendemain à l’excuser ; mais la conscience publique n’éprouve pas de ces hésitations, et la flétrissure dont elle a frappé les coupables a une tout autre portée que les semonces platoniques de M. le ministre de l’Instruction publique et de M. le garde des Sceaux. Ces derniers disent que ce qu’on a fait est bien mal ; la conscience publique dit plus crûment que c’est infâme, et il y a une telle disproportion entre ces deux épithètes et les deux sentimens qu’elles expriment, que le ministère en est confusément épouvanté.

Mais que peut-il faire ? Quand M. Combes affirme à son successeur encore inconnu qu’il ne pourra gouverner qu’avec la droite, il dit une chose qui n’est pas vraie ; mais il est, au contraire, parfaitement vrai qu’il ne peut, lui, gouverner qu’avec le concours, l’appui, la complaisance de la franc-maçonnerie dont il est le prisonnier. Comment pourrait-il la désavouer ? Elle tient son existence ministérielle entre ses mains, et le jour où il la mécontenterait sérieusement, il tomberait de la plus lourde chute. Or la franc-maçonnerie, ne pouvant pas nier ses actes, car on ne nie pas l’évidence, a pris le parti de s’en vanter. L’animal acculé s’est retourné et a fait front à la meute ; mais son audace l’a mal servi. M. Lafferre, son grand maître actuel, après avoir hésité longtemps à prendre la parole, a fini par monter à la tribune. A peine avait-il ouvert la bouche qu’il a été hué, hué comme on l’a été rarement, hué à fond, formidablement, impitoyablement, enfin comme il le méritait. N’a-t-il pas imaginé de dire que, s’il y avait en France plus de Vadécarts, il y aurait moins d’adversaires de la République sur les bancs de la droite ? La Chambre a trouvé que le but ne justifiait pas le moyen, et que M. Lafferre aggravait son cas par sa manière de le défendre. Mais il a dépassé toute mesure lorsque, parlant de l’armée qu’il jugeait naturellement d’après les fiches de son Vadécart, il l’a qualifiée d’ « armée de coup d’État. » Aussitôt le