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M. Delcassé : ils y trouveront de bonnes raisons d’espérer et aussi l’indication des moyens qui leur permettront de faire face à la situation nouvelle. Rien, toutefois, ne saurait les dispenser de montrer de l’initiative et de l’énergie. Le système des primes leur donnait peut-être une sécurité trompeuse : ils doivent la secouer. S’ils le font, avec intelligence et persévérance, nous n’aurons pas moins de pêcheurs ni de marins qu’autrefois, et on s’apercevra, à l’usage, que la convention n’est pas aussi malfaisante qu’on l’a prétendu.

Enfin elle était nécessaire. Nous avons dit que nous n’exercions plus nos droits sur le french-shore : des droits qu’on n’exerce plus ne tardent pas à prescrire et à périmer. Les nôtres, dont nous n’usions plus, étaient une gêne de plus en plus intolérable pour les Terre-Neuviens qui, en fait, les respectaient de plus en plus faiblement. La nature des choses travaillait contre nous. Le moment était donc venu d’échanger nos droits contre autre chose, car ils s’effritaient tous les jours davantage. Que nous en aurait-on donné dans cinq ans ? Que nous en aurait-on donné dans dix, lorsqu’il n’en serait plus rien resté du tout ? Il fallait liquider, et, naturellement, nous aurions préféré des conditions encore meilleures ; mais notre diplomatie a fait son possible, et si elle n’a pas obtenu davantage, on aurait tort de le lui reprocher. Enfin, l’entente avec l’Angleterre, désirable en tout temps, était devenue particulièrement opportune aujourd’hui, et c’est encore un mérite d’avoir saisi cette opportunité. Il n’est pas indifférent, comme l’a dit M. le comte d’Aunay, que les deux grandes nations constitutionnelles et libérales de l’Occident soient du même côté dans l’équilibre qui s’établit entre les forces du monde, et l’expérience de ces derniers mois a prouvé que, si c’était un bien pour nous, c’en était un aussi pour nos alliés auxquels nous pouvions donner un concours diplomatique plus efficace. Ces considérations générales ont dominé de très haut tout le débat. Elles ont eu une action décisive sur le vote du Sénat, et on appréciera certainement en Angleterre l’importance d’une adhésion qui s’est manifestée par une majorité de 215 voix contre une minorité qui s’est en fin de compte réduite à 37.

FRANCIS CHARMES.
Le Directeur-Gérant,
F. BRUNETIÈRE.