Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

favorise entre nous de longs tête-à-tête. Dans le sentier voisin, personne non plus, personne ne passe, si ce n’est de temps à autre quelques marchands d’eau, athlétiques et demi-nus, qui redescendent, portant à l’épaule, au bout d’un bâton, des seaux en bois, remplis aux sources claires de la montagne. On n’entend d’autre bruit que celui des petites cascades perlées dégringolant sous les herbes ; ou bien c’est, dans les branches, le remuement discret des oiseaux, attristés parce que le soleil de janvier reste incolore.

Le lieu est paisible, étrange et ignoré ! On y respire la senteur des feuilles mortes et de la terre humide. Malgré la présence enjouée de cette dame, on s’imprègne ici, dans le silence, de la japonerie spéciale qui émane du temple aux lignes simples, et qui est une japonerie haute et sereine. On sent comme des esprits, des essences très inconnues, rôder sous les futaies, dormir au fond des grosses pierres aux têtes rondes. Et la tombée du soir vous apporte, dans ce recoin du Japon, une petite terreur charmante, dont on cherche en vain le sens introuvable.

En quittant la maison de thé, je continue souvent de suivre le sentier qui monte, jusqu’à l’instant où il finit dans la brousse. Sur des pierres moussues émergeant du sol, encore deux ou trois de ces vieux temples pour poupée, inquiétans à rencontrer malgré leur petitesse de jouet d’enfant ; mais les fougères, les racines deviennent de plus en plus souveraines, dans la nuit verte qui s’épaissit, et tout se perd bientôt au fond des bois, — où les boutons des camélias sauvages, en retard sur ceux des jardins d’en bas, commencent à peine à rougir…

Pour être tout à fait franc vis-à-vis de moi-même, je suis forcé de m’avouer que me voici un peu en coquetterie avec Mme O-Tsuru-San…


Jeudi 31 janvier. — Il semblait certain que notre grand cuirassé, la guerre étant finie, allait reprendre la route de France, et qu’après des relâches en Indo-Chine, il nous ramènerait chez nous pour le beau mois de juin. Il y avait bien la petite tristesse de quitter bientôt ce navire, cette vie de bord avec de bons camarades, cet amusant pays, de voir finir à jamais toute cette période très spéciale de l’existence ; mais cela se noyait pour nous dans la joie du retour.

Et voici qu’aujourd’hui le courrier de France nous apporte