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envoyant à son frère par le Duc de Berry vingt-cinq mille roubles, il lui disait : « La moitié de cette somme appartient à nos créanciers. Mais comme je crains que le gouvernement britannique ne vous laisse dans l’embarras, je vous l’envoie à telle fin que de raison. Si vous en usez, le paiement des créanciers sera retardé jusqu’à ce que l’Angleterre vous donne de nouveaux fonds. En ce cas, il faudrait en prévenir Dutheil. L’autre moitié est à votre disposition, à celle de Berry, tout comme il vous plaira. »

Le départ retardé de vingt-quatre heures par une indisposition du comte Schouwaloff eut lieu le 12 février. « Le Duc de Berry nous a accompagnés à cheval jusqu’à la première poste. Là s’est faite la séparation des deux frères. Elle ne sera pas, je crois, bien longue. Mais, elle n’en a pas moins été douloureuse de part et d’autre. » C’est à sa nièce qu’il donnait ce détail, dans un billet qu’il lui écrivait, le surlendemain, en arrivant à Leipsick. Il était sans nouvelles d’elle depuis quinze jours, et n’en reçut pas durant son voyage qui fut long et pénible[1]. Ce n’est qu’en arrivant à Mitau le 25 mars, qu’il trouva une réponse à l’explication qu’il lui avait donnée le 30 janvier pour justifier son long silence.

« Mon très cher oncle, j’ai eu un plaisir infini de recevoir enfin de vos nouvelles car j’en sentais vivement la privation et ces six semaines m’ont paru bien longues ; mais c’est par bonté que vous m’avez privée de vos lettres ; aussi je ne puis que vous en remercier. J’avais déjà appris que vous deviez partir de Blanckenberg, ce qui est le cas, et je ne vous ai pas écrit aussi de bien longtemps ne sachant où vous adresser mes lettres. Enfin l’évêque de Nancy vient de m’en procurer le moyen que je saisis avec empressement pour m’informer de vos nouvelles.

  1. « Je ne vous parle pas des roues et des essieux cassés, des voies où il a fallu que des hommes portassent ma voiture à bras : ce ne sont là que des roses. J’arrive à une lieue d’ici : impossible de pénétrer jusqu’à l’endroit où on passe ordinairement le Niémen. Je le traverse dans un bateau. M. le général de Sackhen, des attentions duquel je ne saurais trop me louer, m’envoie des voitures et j’arrive ici avant-hier à bon port. Mais, quand on veut mettre ma voiture sur le bateau, il est prêt à couler bas. On en amène un second ; on les attache tant bien que mal, on veut partir ; même accident ; la nuit vient ; il faut rester là. Hier, voilà la débâcle du haut qui se fait, la rivière charrie, monte de huit pieds ; encore vingt-quatre heures de perdues. Pendant ce temps-là, la Willia n’était pas plus passable que le Niémen et il a bien fallu me dire que j’étais sur terre russe pour ne pas regretter le Strand et Tilsitt. » Le Roi au prince de Condé. Kowna, 19 mars 1798.