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Washington, Rochambeau, La Fayette : cette trinité de noms glorieux se présente d’elle-même à l’esprit de tous ceux qui s’intéressent aux fastes de la vieille France monarchique et de la jeune Amérique républicaine. Mais l’histoire s’est peut-être trop exclusivement résumée pour la postérité dans les noms du président à la foi tenace, du vieux soldat qui fut le dernier maréchal de l’ancienne France, du jeune héros qui saluait la naissance de la liberté de tout l’enthousiasme de ses vingt ans. A côté de ces noms, que d’autres noms dignes d’être cités, qu’on verra revivre dans les listes du Comité franco-américain ! De même, Yorktown, ce double triomphe des armes françaises et américaines, a peut-être trop rejeté dans l’ombre les épisodes qui l’ont précédé et qui l’ont rendu possible. Que de pages, chères aux patriotes des deux pays, méritent d’être rappelées en marge de ce grand événement !

C’est le premier en date de ces épisodes militaires que l’on se propose de raconter ici, d’après les documens des archives du ministère de la Marine, et à l’occasion des deux ouvrages récens de M. Charlemagne Tower, ambassadeur des États-Unis d’Amérique à Berlin : le Marquis de La Fayette et la Révolution d’Amérique[1], et de M. le vicomte de Noailles : Marins et Soldats français en Amérique pendant la guerre de l’Indépendance des Etats-Unis[2]. Malgré une réussite incomplète, la campagne que l’armée navale du Roi Très Chrétien fit dans les eaux des Etats-Unis en 1778 demeure un juste sujet d’orgueil pour la marine du règne de Louis XVI et un service de premier ordre rendu à l’Amérique de Washington.


I

Le lundi 13 avril 1778, la population de Toulon vit un admirable spectacle. A la fin d’une belle journée de printemps, à la faveur d’un vent frais qui soufflait de la terre, douze vaisseaux de haut bord et cinq frégates, dans un ordre parfait, sortirent de la rade, le cap au sud-ouest ; au bout de quelques heures, ils furent hors de vue. Où allaient-ils ? A Brest, disait-on, où l’on faisait à la même époque un grand armement maritime. Les

  1. Traduit de l’anglais par Mme Gaston Paris, 2 vol. in-8o, 1902-1903, Plon.
  2. Un vol., in-8o, 1902, Perrin.