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voiture ? — Oui, Sire ! — Alors, vous allez me conduire. » Heureusement, ma voiture était très convenable ainsi que mes gens, et je n’en fus pas peu fier.

J’étais de service la nuit du 20 mars où les douleurs prirent à l’Impératrice. Toute la Cour était réunie ; on servait à de petites tables. Je vois encore le cardinal Maury attablé avec le Grand Juge[1], duc de Massa, faisant tous deux fête à une poularde au riz, et plus attentifs au chambertin qu’au bourdon de Notre-Dame. Vers deux heures, la figure assez triste du Grand Maréchal nous donna des inquiétudes qu’il ne chercha point à dissiper. C’est à ce moment que l’Empereur rassura Dubois et lui dit : « Sauvez la mère, c’est votre devoir, et agissez délibérément comme avec la femme d’un épicier de la rue Saint-Denis. » Las de craindre et d’attendre, nous nous étions tous couchés à terre sur les tapis, quand tout d’un coup la porte s’ouvre et l’Empereur se précipite en nous criant ; « Deux cents coups de canon ! » C’était l’annonce du grand événement ! On eût entendu nos cœurs battre. Un instant après, Mme de Montesquiou sortit en tenant dans ses bras le roi de Rome qui nous fut montré à tous. Nous pûmes alors prendre quelque repos, mais bien court, car presque aussitôt le Grand Maréchal m’envoya prévenir que j’étais désigné pour porter la nouvelle au roi de Westphalie. Nicolaï fut à Vienne, Labriffe à Naples, de France à Madrid, et Monnier à Carlsruhe.

Je reçus la lettre de l’Empereur à quatre heures du matin avec quelques instructions de M. de Bassano ainsi qu’une recommandation pour M. Siméon, ministre de la Justice à Cassel et ami de mon beau-père. J’allai comme le vent dans un briska attelé à quatre chevaux avec un courrier en avant. En quarante-huit heures j’étais à Mayence, et en soixante-dix à Cassel. Je fus logé au palais, et traité avec une rare distinction. Jamais je n’ai vu plus charmant parterre de jolies femmes que le cortège de la Reine, ni plus de luxe que dans la maison du Roi. Les uniformes étaient plus brodés d’or que les nôtres d’argent. Je comptai quatre-vingt-douze voitures dans les remises, plus de deux cents chevaux, et partout une incroyable magnificence toujours en éveil. Ainsi, à la grande fête donnée en l’honneur de ma mission, je ne distinguai qu’une jolie personne parmi les dames de

  1. Régnier, ministre de la Justice.