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« Nos bateaux, à nous Japonais, en ont-ils de pareils ? Est-ce que ceux des Russes peuvent tuer aussi loin ? » — Oh ! qu’elle était drôle, à côté de l’une des grosses pièces du Redoutable, que deux canonniers s’étaient amusés à lui ouvrir, et fourrant sa petite tête dedans, avers soja beau chignon, pour examiner les rayures


31 mars. — Dans la matinée, vers dix heures, s’est refermé derrière nous le long couloir de verdure, au fond duquel Nagasaki s’étale dans son cadre de pagodes et de cimetières. Ensuite, ont défilé ces petits îlots, qui sont comme les sentinelles avancées du Japon, — petits îlots charmans, que tout le monde connaît, pour les avoir vus peints sur tant de potiches et d’éventails. Et puis la mer, le large a commencé de nous envelopper de sa majesté sereine et de son silence, plus saisissans par contraste, après tant de mignardises, et de musiquettes, et de gentils rires, auxquels nous venions longuement de nous habituer.

Très brusque a été l’ordre de départ. A peine ai-je trouvé le temps de saluer ma belle-mère en émoi. C’était déjà si court, les deux heures que j’avais, pour aller dans la montagne dire adieu à la mousmé Inamoto…

Faut-il que je l’aie escaladé souvent, le vieux mur de son bois enclos, pour que les traces de mon passage se voient déjà si bien sur le gris des pierres ! Je ne l’avais jamais remarqué comme ce jour de départ ; il y a de quoi donner l’éveil ; et, à mon retour, il faudra changer de chemin. Dans l’herbe aussi, mon pas a dessiné une vague sente, comme ces foulées que font les bêtes en forêt.

Mousmé qui n’avait pas des yeux ordinaires de mousmé, fleur énigmatique et jolie, fleur de pagode et de cimetière, qu’ai-je su comprendre d’elle, et qu’a-t-elle compris de moi ? Rien que l’un de nous soit capable de définir. Assis côte à côte sur la terre de ce bois, disant des choses forcément puériles, à cause de cette langue dont je connais trop peu de mots, nous étions comme deux sphinx qui s’amuseraient à faire les enfans, faute d’un moyen, d’une clef pour se déchiffrer, mais qui seraient retenus là chacun par l’âme inconnue de l’autre, vaguement devinée. Il est certain qu’entre nous commençait de se nouer cette sorte de lien qu’on appelle affection, qui ne se discute ni