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l’affaire, avait absolument manqué son objet. Mais le devoir et le sentiment me défendaient de me tenir pour battu. J’ai trouvé, comme les questions qu’il m’avait remises me le présageaient, un jeune homme imbu des principes qu’il a malheureusement sucés pendant que vous étiez à l’île d’Yeu. J’ai commencé par tâcher de le mettre à l’aise, et pour cela je me suis appliqué à dissimuler la peine que j’éprouvais, en me voyant réduit à convertir sur un point aussi essentiel celui qui doit, après nous, porter la couronne de Henri IV. Ce moyen m’a réussi, et l’enfant de son côté a vaincu sa timidité… La partie de pur raisonnement a produit peu d’effet : je m’y attendais ; mais je l’avais jugée nécessaire, parce qu’il faut semer d’avance pour recueillir longtemps après. Mais l’analyse a répondu à mon espoir. Le jeune homme s’est trouvé dans un pays tout nouveau pour lui ; ses yeux se sont ouverts ; il m’a avoué qu’il avait une idée toute différente de notre constitution, et sa sincérité ne me permet pas de douter qu’il ait commencé à l’aimer, puisqu’il m’a dit qu’il regardait la nation française comme libre avec une pareille constitution, et qu’il croyait que le gouvernement représentatif ne lui convenait pas. »

C’était une victoire d’avoir obtenu cet aveu. Mais, tout en le faisant, le Duc d’Angoulême persistait dans l’opinion que le Roi, en rentrant en France, devrait consulter son peuple sur la constitution et s’assurer s’il voulait la maintenir intacte ou la modifier.

« J’ai cherché à démontrer les inconvéniens, les dangers et l’inutilité d’une pareille consultation. L’argument dont on s’est servi a été qu’une nation se soumettait plus volontiers à une constitution de son choix, et j’ai bien vu qu’on croyait que l’opinion générale était en faveur d’un gouvernement représentatif. Il était inutile d’argumenter sur cette prétendue opinion générale ; je n’y crois pas, mais il y croit, et tous les raisonnemens du monde ne sauraient persuader sur un fait. Aussi, j’ai pris une autre forme.

« — Si vous pensez, lui ai-je dit, que le gouvernement représentatif ne convienne pas à la France, croyez-vous que je puisse l’accorder, même au désir malentendu de la nation ? Un père cède-t-il aux vœux de ses enfans quand ils peuvent lui être nuisibles ? Si vous me demandiez du poison, vous en donnerais-je ? Il s’est jeté dans mes bras ; nos yeux se sont mouillés, et