Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après sa mort par C. R. Leslie, et dont les lettres ou les écrits de son ami lui ont surtout fourni les matériaux ; l’autre plus récent, accompagné de nombreuses héliogravures d’après les œuvres du peintre, et dans lequel M. C. J. Holmes se montre un critique aussi équitable que compétent.

Un court exposé de l’état de la peinture anglaise de paysage avant Constable, nous mettra mieux à même d’apprécier toute l’originalité de son talent.


I

Depuis longtemps, l’Angleterre était devenue une nation puissante et prospère, et elle ne possédait encore aucun art. Elle avait donné le jour à un auteur dramatique tel que Shakspeare, à des philosophes comme Bacon et Newton ; elle n’avait pas produit un seul artiste. Ses souverains, ses grands seigneurs sentaient, il est vrai, que l’art est la parure d’une cour, le luxe suprême de la richesse, et, à diverses reprises, ils cherchaient à attirer auprès d’eux quelques-uns des maîtres réputés du continent. Pour ne citer que les plus grands, Holbein, Antonio Moro, Rubens et van Dyck avaient fait à Londres des séjours plus ou moins prolongés, comblés des faveurs royales et patronnés par les membres de l’aristocratie. Dans les collections formées par ceux-ci, les paysagistes en renom tenaient une place importante et, parmi eux, Claude Lorrain, J. Ruysdaël, Hobbema et Cuyp, qui jouissaient surtout de la vogue, ont nécessairement exercé une influence considérable sur la formation et le développement des premiers paysagistes anglais. Avant ceux-ci, d’ailleurs, les écrivains avaient compris et exprimé les beautés de la nature. On sait quel poétique intérêt ajoutent aux épisodes les plus pathétiques des drames de Shakspeare les paysages indiqués par lui en quelques traits saisissans : les bruyères désolées où le roi Lear, errant pendant la tempête, exhale son désespoir ; le cours d’eau dans lequel Ophélie se noie entourée de fleurs ; la lande où les sorcières promettent la royauté à Macbeth ; les prairies enveloppées de vapeurs et baignées de rosée, parmi lesquelles s’ébattent les petits génies du Songe d’une nuit d’été. Après Shakspeare, avec une prolixité moins expressive, les lakistes n’avaient épargné aucun détail dans les descriptions pittoresques où s’encadrent leurs compositions agrestes. Enfin la