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sur la campagne et frappe même les gens les moins sensibles aux beautés de la nature. Constable se montre là aussi excellent dessinateur que fin coloriste et, à vrai dire, on ne songe guère à constater ce merveilleux accord des dons les plus rares, tant l’unité de l’œuvre est parfaite et l’impression qu’elle produit irrésistible. Ce n’est pas seulement en le comparant à ses prédécesseurs qu’on peut apprécier ce qu’il vaut ; c’est mieux encore en voyant ce qu’est devenu sous le pinceau des soi-disant impressionnistes de notre temps ce motif, si souvent traité par eux, d’architectures fortement éclairées, se détachant sur le ciel, la gaucherie enfantine et le sans-gêne expéditif avec lesquels les formes cependant très arrêtées des édifices sont vaguement indiquées par eux, la violence des contrastes auxquels ils ont recours et la brutalité sommaire de leurs colorations. Il n’est que juste de reconnaître qu’après leur avoir montré l’exemple et frayé la voie, Constable a conservé sur eux une écrasante supériorité.


IV

Sans atteindre jamais l’engouement passionné que Turner excitait chez ses compatriotes, la réputation de Constable avait grandi en Angleterre et sur le continent. Il avait ses admirateurs fidèles ; mais il continuait à trouver ses meilleurs encouragemens dans l’étude assidue de la nature.

Modeste, satisfait des intimes contentemens qu’il goûtait dans son intérieur et dans la pratique de son art, il s’estimait parfaitement heureux. En 1826, il avait vendu un assez grand nombre de tableaux et, à la demande de plusieurs amateurs, il s’était même décidé à établir un tarif, d’ailleurs très modéré, du prix de ses œuvres, proportionnellement à leurs dimensions. Il s’installait, en 1827, dans une maison spacieuse et plus confortable, avec un grand atelier, dans la banlieue de Londres, à Hampstead, d’où il jouissait d’une vue sans pareille sur la grande ville, depuis Westminster-Abbey jusqu’à Gravesend, avec un immense horizon de bois, de cultures et de villages. A la mort de son beau-père, en 1828, il héritait de 500 000 francs ; cette année même, il avait son quatrième enfant et achevait un grand tableau : « trois faits importans dans sa vie, » disait-il. Il pouvait maintenant mener l’existence indépendante et retirée qui seule